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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

quée. À tous les déchaînemens dont elle était l’objet, la société n’a répondu que par l’indifférence : c’est ainsi qu’elle s’est vengée. On eût mieux aimé ses colères que son dédain : elle n’a pas donné cette satisfaction aux hommes qui l’attaquaient par système. À quoi bon d’ailleurs se charger d’une justice qui se faisait toute seule ? À peine éclos, les systèmes se fractionnaient pour se livrer bataille. Il s’agissait de renouveler la face du globe, et vingt procédés pour un étaient offerts. Jamais autant de recettes du parfait bonheur ne furent imaginées, livrées à l’essai. C’est peut-être l’embarras du choix qui a engagé la société à rester ce qu’elle est, mêlée de mauvais et de bon, s’appuyant sur le passé en regardant vers l’avenir. Quant aux écoles et aux églises nouvelles, il suffisait de les laisser aux prises entre elles pour les voir s’éteindre dans le choc des rivalités et les défaillances de l’isolement.

Le socialisme avoué est donc fini ou bien près de finir ; mais il semble vouloir laisser une dernière trace dans les sciences et dans les lettres. Bien des travaux se ressentent de cette préoccupation, et obéissent à cet esprit. L’histoire, l’économie politique, la philosophie, la médecine même, en ont été atteintes, non pas, si l’on veut, dans les grandes écoles, mais par l’apparition de dissidens nombreux et résolus. Il serait trop long de récapituler ici ce qui a été fait sous l’empire de cette disposition : qu’il suffise de signaler trois catégories d’écrivains qui, plus ouvertement que les autres, ont sacrifié aux chimères et aux déclamations du socialisme. La première comprend les statisticiens que la passion des chiffres égare ; la seconde, les aventuriers de la pensée, rhéteurs vaniteux ou philosophes empiriques ; la troisième, certains romanciers toujours prêts à abuser de la couleur. De ces trois classes, la moins excusable est sans contredit celle des statisticiens. Personne n’a attaqué la société avec plus de violence qu’eux, ni intenté à la civilisation, au nom de chiffres fort équivoques, un procès plus opiniâtre et plus brutal. Si la statistique ne sait pas mieux se contenir, elle se fera, auprès des esprits sérieux, un tort irréparable. C’est une science qui renferme des calculs et des argumens pour toutes les causes, fussent-elles diamétralement opposées. Les chiffres sont complaisans ; ils se prêtent aux désirs secrets de l’observateur et à la fortune des livres. On se propose de prouver une chose, et l’on voit tout dans le sens de cette démonstration.

C’est ce qui est arrivé pour l’étude des misères sociales. Les chiffres les plus affligeans, les tableaux les plus douloureux, sont devenus