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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

siéger à Belgrad près du soviet de Serbie. Le premier soin du consul russe fut de gagner à sa cause le chef du parti turc parmi les Serbes, le métropolite grec Léonti. Ce pontife démontrait aux paysans combien ils étaient insensés de se battre pour des hospodars avides uniquement de remplacer les spahis ; il leur conseillait de demander plutôt à la Porte un prince pareil à ceux de Valachie et de Moldavie. Rodophinikine, en ralliant les partisans de Léonti aux hospodars russophiles, s’assura l’unanimité dans le sénat, où la nation n’eut plus aucun représentant. Dès-lors la question de l’indépendance absolue fut oubliée : à ce noble rêve de Tserni-George, on substitua le système d’une existence bâtarde, sous le double protectorat de la Porte et de la Russie.

N’entendant rien aux intrigues diplomatiques, le dictateur se contenta de rappeler à Belgrad ses deux soutiens, Mladen et Iougovitj, pour surveiller et diriger le sénat ; puis, se mettant à la tête de l’armée, il marcha de nouveau contre les Turcs, les chassa une seconde fois des frontières qu’ils avaient franchies, et rentra simple paysan dans la Choumadia, où, comme Cincinnatus, il labourait à Topola le champ de ses pères, laissant aux troupes nationales la garde des citadelles qu’il avait conquises. À peine venait-il de délivrer son pays, que les hospodars, dominés par l’influence russe, l’accusèrent de l’avoir délivré seul, et d’avoir renvoyé des renforts considérables que la Russie lui offrait. À la diète armée de Losnitsa, Jacob Nenadovitj présenta son neveu le prota qui arrivait de Pétersbourg, et annonçait que le tsar avait daigné accepter la couronne de Serbie. Les deux partis, celui des pauvres et celui des riches, se divisèrent sur cette question. Les premiers rejetèrent cette proposition avec fureur, les seconds la couvrirent d’applaudissemens : les deux factions étaient près d’en venir aux mains, lorsque l’hospodar Jacob ajourna la discussion à la skoupchtina du nouvel an (1810). À cette assemblée, qui devait être décisive, il parut avec six cents cliens, momkes et kmètes, qui tous se mirent à crier dans les rues de Belgrad : « Nous voulons le tsar ! » Après avoir entendu Jacob faire au milieu de la diète l’exposé véhément de toutes les concussions de Mladen, le dictateur lui répondit : « Si Mladen a mal fait, prends sa place et fais mieux ; vous autres vous voulez l’empereur russe : essayons de l’empereur russe ! » Mladen et Miloïé durent quitter de nouveau Belgrad ; Jacob, proclamé par l’assemblée souveraine président du sénat, prit possession de son siége, et éloigna tous les sénateurs qui lui étaient hostiles. Le parti russe triomphait pleinement ;