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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

peuple de martyrs un homme qui exploitait avec empressement cet état de choses. C’était Miloch.

Né en 1780 d’un valet de ferme, nommé Techo, et de Vichnia, veuve du fermier Obren, Miloch fut d’abord, comme son père, réduit à garder le bétail d’autrui dans son village natal de Dobrina, éloigné de trois lieues d’Oujitsa, et où le voyageur Pyrch, en 1832, trouva encore vivante la femme que le futur prince avait servie en qualité de porcher. En gravissant les rochers du mont Roudnik au sortir de Dobrinia, on arrive à des hauteurs presque inaccessibles : là s’élève, au milieu d’une forêt de pruniers, une ferme nommée Tsernoutja (retraite des noirs). Cette ferme fut construite par Miloch, quand il voulut mettre en sûreté l’énorme butin que lui légua en mourant son frère utérin Milane. Héritier de ce chef héroïque, auquel il avait dû son initiation dans l’art de la guerre, il lui emprunta même son nom d’Obrenovitj (fils d’Obren), que le fils de Techo, devenu voïevode, ne quitta plus. Les richesses qu’il avait commencé d’entasser dans sa sauvage retraite étaient pour l’avare Miloch l’objet d’une telle sollicitude, qu’il ne put se résoudre à émigrer en 1813 avec les hospodars dont il avait épousé la querelle. Jacob Nenadovitj, déjà en sûreté sur la terre autrichienne, s’exposa généreusement à repasser la Save pour décider Miloch à le suivre en Autriche. Miloch s’obstina dans son refus. Bientôt, avec ses momkes, il se retira à Brousnitsa. Là, il ne tarda pas à s’entendre avec les Turcs, et à se faire reconnaître par eux obor-knèze de Roudnik, à la condition qu’il les aiderait à purifier le pays de tous les brouillons qui voudraient l’agiter. Le village de Takovo le vit déposer ses armes aux pieds d’Ali Sertchesma, capitaine des delis, gardes-du-corps du visir. Mené à Belgrad comme un fidèle raya, il fut présenté par les beys, ses amis, au cruel pacha Soliman, qui l’appela son bien-aimé, son fils adoptif, et lui fit présent de beaux pistolets et d’un étalon arabe. Ces honneurs flattèrent la vanité de Miloch, qui jura de verser son sang pour rétablir en Serbie l’autorité musulmane. Désormais il ne s’écoulerait pas de semaine, ajoutait-il, qu’il n’envoyât quelque tête de rebelle serbe pour couronner les portes de Belgrad. L’obor-knèze tint parole, car il y trouvait un double avantage : d’une part, il retirait le prix du sang, le denier de Judas ; de l’autre, grace au supplice des knèzes compromis, il devenait peu à peu le seul raya riche et puissant de sa nation.

La Serbie était donc retombée sous le joug turc à la même époque à peu près où la chute de l’empire français ébranlait l’Europe. Le