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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

corps peut choisir qui bon lui semble pour rédiger les projets de lois jugées par lui nécessaires, et les met en délibération sans que le kniaze puisse s’y opposer. » N’accordant au prince que le seul pouvoir exécutif, le soviet pouvait donc lui interdire, comme contraire à la charte, toute tentative d’empiètement sur les attributions du pouvoir législatif, qui lui est entièrement étranger. Voilà ce que les diplomates russes autorisaient après avoir fait anéantir, comme trop républicaine, la charte de Davidovitj !

Miloch ne pouvait donc plus faire un acte de souveraineté sans avoir obtenu d’abord l’assentiment du sénat, son tuteur. Le sénat, il est vrai, ne pouvait publier aucune ordonnance qui eût force de loi sans la signature du kniaze. Armé de son veto, Miloch pouvait encore suspendre la marche du gouvernement ; il pouvait en appeler des arrêts du sénat aux deux cours protectrices. Le prince exploita largement son droit de protestation : pendant les premiers mois du nouveau gouvernement, il ne permit pas la publication d’un seul acte officiel ; de concert avec Jivanovitj, il soumit le corps législatif à une espèce de blocus. Enfin les sénateurs, sous prétexte que Kragouïevats manquait de logemens nécessaires pour tous les employés, quittèrent cette petite capitale créée par Miloch et toute dévouée à son fondateur. Le kniaze eut l’imprudence de les suivre à Belgrad avec toute sa cour. L’accueil que lui firent les habitans fut significatif : pas un citoyen ne se porta au-devant de lui pour le complimenter ; une trentaine de cavaliers sauvages, aux longs poignards, aux carabines chargées, aux vieux manteaux déchirés, environnaient le prince. Un sombre silence planait sur la foule et n’était interrompu que par le souffle des chevaux qui gravissaient la colline. C’était bien l’entrée d’un tyran.

Bientôt un grave incident ramena l’attention publique sur la question la plus importante du moment, la lutte du prince et des sénateurs. Le nouveau sénat, lors de son installation, avait trouvé le trésor de l’état presque vide ; il rendit Miloch responsable du déficit. Sommé de rendre ses comptes, le prince répondit qu’avant la publication de l’oustav il avait été le maître absolu de la Serbie, qu’il avait représenté le peuple, et qu’à ce titre il ne pouvait être accusé de concussion. Les sénateurs opposaient à cette justification de Miloch une dénégation formelle ; ils prouvaient que son usurpation n’avait jamais été sanctionnée par les libres suffrages du peuple. Voyant le sénat persister ainsi dans son projet d’enquête, Miloch vendit secrètement à ses amis une partie considérable des biens