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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

constitution, ratifia la sentence d’exil perpétuel prononcée par le haut tribunal contre Cunibert et Jivanovitj ; puis, escorté par une députation du sénat, il rentra dans Belgrad.

Évidemment, malgré tout ce qu’a pu dire la presse européenne, la Russie n’avait plus qu’un bien faible intérêt à détrôner Miloch, car elle tenait en ses mains le sénat, qui était devenu le seul pouvoir effectif de la principauté. Aussi Vachtchenko mettait-il en œuvre toute son éloquence pour persuader au kniaze de se tenir en paix. Il lui vantait le bonheur d’un prince constitutionnel, qui n’a rien à faire qu’à savourer les joies du rang suprême, qui a toute puissance pour le bien et nulle puissance pour le mal, et qui recueille toute la gloire de la prospérité publique, sans qu’on puisse lui attribuer aucun des maux du pays. Ce langage ne faisait qu’indigner le vieux tyran, et le consul était mieux écouté quand il rappelait au prince les terribles effets de la colère du peuple. « Mon influence et la crainte qu’inspire le tsar te maintiendront malgré la nation, disait-il, tant que tu respecteras l’oustav ; mais si tu le foules aux pieds, tu te retrouveras seul en présence d’un peuple avide de vengeance. » Ces remontrances furent cependant vite oubliées : le sénat avait insisté pour que Miloch rendit compte de sa gestion des deniers publics depuis dix ans ; il exigeait qu’il restituât les biens confisqués et réparât tous les dommages causés par ses intendans aux particuliers. Il y avait là de quoi pousser à bout un avare moins endurci que Miloch ; plutôt que de rendre les millions demandés, il accepta la guerre civile. Sachant combien le peuple voyait de mauvais œil une charte imposée par les puissances étrangères, et dans laquelle il n’avait pu introduire aucune modification, Miloch tout à coup proclama l’abolition de l’oustav ; il envoya son frère Iovane dans le mont Roudnik, pour soulever les paysans de ses domaines, et invita les troupes régulières à venir briser les chaînes dont les sénateurs l’avaient chargé. Le malheureux ne se doutait pas que ces vieillards, objets de sa haine, étaient désormais ses seuls protecteurs, et qu’en brisant ce dernier appui, il se livrait lui-même sans défense à toute la colère du peuple.

L’armée, provoquée par les agens de Miloch et sans attendre que les paysans d’Iovane prissent les armes de leur côté, se souleva bientôt aux cris de : À bas la charte, vive le prince absolu ! Après avoir forcé l’arsenal, la garnison de Kragouïevats se joignit à celle de Tjoupria, et toutes ces troupes marchèrent sur Belgrad, entraînant garrottés leurs propres officiers qui refusaient de violer la charte, et ceux des employés qui n’avaient pas eu le temps de s’enfuir dans