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vivrait au jour le jour, qui ne se soutiendrait qu’à force de complaisances et de faiblesses, et contre lequel s’élèveraient incessamment des questions menaçantes, ne parviendrait point, quand il traînerait pendant dix ans sa chétive existence, à satisfaire aux conditions de la stabilité ; il serait placé dans une dépendance constante : au-dessus de lui, au-dessous, des exigences chaque jour renaissantes le priveraient d’initiative et de liberté ; il serait faible tout à la fois dans la diplomatie, dans le gouvernement intérieur et dans les chambres. Comment les puissances étrangères entameraient-elles avec lui des négociations quand chaque courrier peut leur apporter la nouvelle de son renversement ? Comment prépareraient-elles par des arrangemens préliminaires des traités ou des alliances quand elles le voient si vivement attaqué, sans lendemain, obligé de céder à tout et à tous ? Croyez-vous, par exemple, que M. Guizot, contraint, par un vote unanime qu’il n’a pu conjurer, de refuser la ratification du traité du droit de visite, ait encore la faculté de parler haut avec les ambassadeurs des grandes puissances et trouve grand crédit auprès d’eux ? La diplomatie n’aime point à livrer ses secrets, elle ne veut faire connaître ses conditions suprêmes que quand elle peut leur obtenir une consécration certaine et définitive ; elle s’éloigne des négociateurs impuissans qui parlent et n’agissent point, qui traitent et sont désavoués, de ceux surtout qui se font obstacle à eux-mêmes, tant ils inspirent peu de confiance au pays. À l’intérieur, les agens divers qui représentent le gouvernement et distribuent ses ordres sur tous les points du territoire, les préfets, les procureurs-généraux, ne s’affichent pas à un ministère sans cesse en lutte avec une minorité puissante et nombreuse à qui le pouvoir peut échoir tous les jours. Ils se ménagent, louvoient, ne se livrent point, s’enferment dans la réticence ou l’équivoque, cherchent à ne se point compromettre, et, s’ils ne trahissent pas, du moins ils servent sans goût et sans zèle. Dans les chambres enfin, combien le rôle d’un ministère sans appui solide, fût-il ancien, est pénible et faux ! Il ne commande point et vit dans une perpétuelle servitude ; il n’a plus de souci que pour sa propre existence, et néglige les affaires publiques ; il ne peut faire passer aucune loi telle qu’il l’a présentée. La minorité, excitée par sa force, irritée devant des ministres que blâment ceux même qui les appuient, ne leur épargne aucune attaque, ne leur passe aucune faute. La majorité, embarrassée de son rôle ingrat, cherche à se le faire pardonner par sa raideur dans toutes les questions qui ne touchent point à la politique. Le gouvernement et l’administration se trouvent également affaiblis et paralysés. Ce n’est pas tout encore : on initie le public aux secrets les plus délicats du gouvernement ; on met à nu tous les rouages ; on discrédite la constitution en détruisant tout prestige. Quand le peuple aperçoit un ministère dont le maintien est subordonné au télégraphe qui convoque ses agens, à une malle-poste en retard, à un rhume qui retiendra quelqu’un de ses partisans ; quand, après avoir compté la majorité sortie du scrutin, il peut se dire quels hasards l’ont formée et pouvaient la détruire, il ne prend plus au sérieux un