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et ont su imprimer à l’ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité.

M. de Barante est de nos jours un des rares écrivains dont la carrière, non pas entièrement close, mais tout-à-fait définie, se dessine le mieux sous cet aspect. Cette mesure de nouveauté et de retenue, il l’a tour à tour essayée dans la critique littéraire, et développée plus en grand dans l’histoire ; il n’a cessé de l’observer dans la pratique politique. En nous tenant surtout ici au critique et à l’historien, nous avons à toucher plus d’un point délicat et compliqué, assez lointain déjà pour qu’il y ait plaisir et profit à y revenir. C’est d’ailleurs le caractère et la qualité de certains esprits que, tout en atteignant à la réputation méritée, ils ne tombent pas dans les grands chemins et sous les jugemens courans de la foule ; ils échappent ainsi au lieu-commun de la louange ; ils demeurent des sujets choisis. On n’a qu’une manière encore d’en parler avec quelque à-propos, c’est de les bien connaître.

M. Prosper Brugière de Barante est né à Riom en juin 1782, d’une famille ancienne et considérée, qui, sur la fin du XVIIe siècle, ne fut pas sans payer son premier tribut aux lettres. Claude-Ignace Brugière (ou Breugière) de Barante, bisaïeul de notre contemporain, était venu jeune à Paris, y avait connu Valincourt, l’ami de Boileau, et aussi Le Sage et Fuzelier, cette arrière-garde légère du grand siècle, ce qui ne l’empêcha pas de retourner vivre chez lui en excellent avocat. Il avait traduit quelque chose d’Apulée, et Goujet, en sa Bibliothèque française[1], mentionne très honorablement des observations de lui sur les prétendus fragmens de Pétrone trouvés à Belgrade. Le jeune amateur de ces deux profanes anciens n’en devint pas moins un grand janséniste, et le conseil du parti en Auvergne durant les persécutions du cardinal Fleury. Ces contrastes sont de bon augure par la façon dont ils se tempèrent. Nous distinguons tout d’abord une souche solide et sérieuse, mais qui permet à la variété de s’y greffer et presque d’y fleurir.

Le fils de Claude-Ignace allait également à Paris dans sa jeunesse, y était recommandé à son compatriote Danchet, et faisait même quelque préface à je ne sais quelle tragédie de cet illustre d’un jour. Mais c’est au père de M. de Barante qu’il faut surtout demander compte de son influence directe et suivie sur l’éducation de son fils.

Élevé à Juilly, au collége de l’Oratoire, puis venu à Paris pour ses

  1. Tome VI, page 205.