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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

Néanmoins, dans l’histoire des grandes littératures, on rencontre le témoignage de cette alliance : il n’en saurait être autrement. Puisque dans le développement primitif et fondamental de l’esprit humain la poésie et la philosophie se trouvaient confondues, il était inévitable que les monumens écrits portassent à toutes les époques l’empreinte plus ou moins profonde de cette union. Ce n’est pas seulement dans les temps reculés où la pensée humaine s’agite avec une confusion puissante, qu’on reconnaît cette alliance que nous signalons : on la retrouve encore quand la division du travail intellectuel a profondément séparé les genres. Alors, dans leur manière de rendre leurs pensées, les philosophes rappellent les poètes de leur nation, et de son côté la poésie a non pas dans ses couleurs, mais dans sa structure, quelque chose qu’elle doit à la métaphysique qui s’est développée à côté d’elle. Comment comprendre le génie de Platon sans Sophocle et Aristophane ? Dans Vico, on sent parfois respirer Alighieri, et Descartes et Corneille ont entre eux des traits de ressemblance. En Allemagne, Schiller et Fichte sont frères ; qui niera les analogies de la poésie de Goethe avec la métaphysique de Schelling et de Hegel ?

Voilà des rapports légitimes et purs entre les poètes et les philosophes, parce qu’ils résultent de la nature des choses. Mais les reconnaîtrons-nous, ces rapports féconds et vrais, dans ces œuvres où les formes et les couleurs d’une poésie prétentieuse servent d’enluminure à de fausses abstractions ? Qu’un philosophe à la recherche de la vérité s’échauffe, et qu’en parlant de Dieu, de la nature et de l’homme, il rencontre sans les avoir cherchées les inspirations d’une poésie grande et simple ; de son côté, que le poète, par un rare privilége, arrive de plein saut à la profondeur philosophique, et que nous lui devions non-seulement de splendides images, mais de puissantes pensées, à coup sûr cet empiètement réciproque est pour le lecteur une source de nobles jouissances. À la suite du philosophe, on ne cherchait que le vrai ; on se trouve tout à coup en face du beau : nous ne demandions au poète que des tableaux attrayans, et il y mêle sur le fond des choses des révélations imprévues. Nous sommes là dans les hautes régions de l’art et du génie. Mais il nous en faut descendre pour étudier le procédé de quelques écrivains de nos jours qui ont l’ambition de faire de l’art, de se montrer poètes dans l’intérêt de ce qu’ils appellent leurs idées. Voici comment les choses se passent : on a dans l’esprit quelques principes erronés, dans le cœur certaines passions violentes dont on voudrait répandre