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LA BELGIQUE.

titre, toutes les fois que la faiblesse de leurs maîtres relâchait les liens de leur obéissance, mais incapables, sous l’empire du principe qui les avait fondées, d’y substituer les nœuds plus durables qui forment les nations. La liberté au moyen-âge diffère essentiellement de la liberté moderne : elle était une exception au sein de la servitude sociale hiérarchiquement organisée, une franchise pour tout exprimer d’un mot, tandis que celle-ci est un droit universel dont les besoins seuls de la société autorisent à limiter l’usage. Aussi, comme il lui manquait la faculté de généralisation qui distingue la nôtre, elle ne dépassa point les bornes étroites de la cité, et eut tous les vices de l’égoïsme, l’orgueil, l’ambition, l’amour exclusif de soi-même et l’indifférence pour autrui. Les communes étaient despotiques et jalouses comme tous les privilégiés ; satisfaites de leurs chartes, soucieuses seulement d’en assurer le respect, elles ne songeaient pas plus à combattre en dehors d’elles le principe de la servitude que les affranchis, dans l’antiquité, n’avaient eu la pensée généreuse de détruire l’esclavage. La patrie, pour chacune d’elles, commençait au pied de leur beffroi et finissait à leurs murailles, et chacune d’elles voyait dans sa voisine une rivale que l’instinct de l’envie désignait à sa haine. Si un danger commun les forçait parfois à se coaliser, le retour de la sécurité venait les replonger bientôt dans l’isolement de leurs antipathies furieuses. Bruges était Capulet à Gand, et Gand lui était Montaigu ; cette même cité de Bruges s’efforçait, dès qu’elle croyait l’occasion favorable, de ramener sous sa juridiction les campagnes environnantes qu’une sorte de charte rurale en avait détachées sous le nom de Franc. Telles furent, sous un autre aspect, les tendances funestes des républiques italiennes, filles malheureuses de la démocratie du moyen-âge, qui s’entredéchirèrent le sein avant l’aurore de la liberté moderne. S’il faut s’étonner de quelque chose, c’est que Bruges, Ypres, Courtray, villes indépendantes de fait, ne l’aient point été un moment de droit comme d’autres cités moins riches au-delà des monts ; c’est que Gand surtout, qui, sous la conduite de ses deux grands ruwaerts, Jacques et Philippe d’Artevelde, levait des armées, organisait des confédérations municipales, signait des traités de commerce et d’alliance avec les rois d’Angleterre, n’ait point ambitionné l’honneur de former un état distinct à l’exemple de Pise et de Florence. Mais qu’une nation flamande ne soit pas sortie de ces jours lointains de grandeur et de prospérité, cela ne doit point nous surprendre. Y a-t-il de nos jours une patrie italienne, à moins que vous ne donniez ce nom à l’objet déplorable de l’amour sans espoir