Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/1031

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1025
LA SIRÈNE.

Le chant fuit aux confins de l’immense nature.
Aux sauvages amans un cuisant aiguillon
S’attache ; des désirs ils boivent le poison.
Hennissant dans leurs cœurs, du pied creusant le sable,
Ils lèchent, tout pensifs, leur plaie inguérissable.


Le Cyclope, après eux, dans les flancs de Lemnos
Entend la voix de miel qui pénètre ses os ;
Il laisse le marteau retomber sur l’enclume ;
Soit que l’âtre des dieux s’éteigne ou se rallume,
Au bord du promontoire, il roule entre ses doigts
Les sept tuyaux de buis qui modulent sa voix.
Dans ses vieux murs, géans vêtus d’herbe nouvelle,
Pour l’épouse il étend les peaux d’ours ; il appelle,
Et son œil, jour et nuit, rempli de pleurs amers.
Cherche sa Galatée assise sur les mers.


À peine du Cyclope énervé par la lutte
A tari la chanson dans le buis de sa flûte,
Un écho plus nombreux répète en d’autres mots
Les chants que la Sirène a révélés aux flots
Sur son mètre dansant au milieu des Cyclades.
Le temple, au front des monts, dresse ses colonnades ;
Et déjà des devins l’hymne nourri d’encens
Ébranle, sous le dieu, les trépieds bondissans.


Quand le temple se tait, épuisé d’harmonie,
Le Rhapsode, à son tour, vient lutter de génie
Avec le flot qui passe et la fille des eaux,
Des chansons de l’Olympe amusant les roseaux.
Avec art égaré, le grand troupeau d’Homère
D’île en île poursuit la sonore chimère.