Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
REVUE DES DEUX MONDES.

son esprit. L’école se divisa : on vit un côté droit et un côté gauche dans cette chambre des représentans de l’intelligence. C’étaient eux-mêmes qui se désignaient de cette manière. Les Annales de Berlin, fondées par Hegel et Édouard Gans, exprimaient la pensée du centre, c’était l’organe de l’orthodoxie hégélienne. La gauche, dont les chefs étaient surtout M. Michelet et M. Marheinecke, poursuivait inflexiblement les conséquences de la doctrine du maître, et, sans le savoir, ouvrait la route à une école toute nouvelle dont je parlerai tout à l’heure. Sur les premiers rangs de la droite s’était placé un homme d’un vrai talent, d’une ame ardente et poétique, M. Goeschel. Cet esprit enthousiaste voulait, dans ses religieuses tendresses, réunir les choses les plus hostiles. Il admettait tout pour tout purifier, car il couvrait ses mille contradictions de la lumière égale et continue de son pieux mysticisme.

Cette première division n’avait rien de bien inquiétant encore ; mais bientôt les discussions qui s’établirent entre les différens partis amenèrent les penseurs à s’expliquer nettement sur les principaux points de la doctrine, et laissèrent apercevoir ce qu’il y avait d’effrayant derrière l’appareil magnifique de ce grand système. Il faut bien répéter les accusations qui se firent entendre d’un bout à l’autre de l’Allemagne, et que les évènemens ont trop justifiées. Qu’y avait-il au fond de cette doctrine ? Je ne parle pas seulement de sa valeur scientifique, je l’examine ici dans ses rapports avec l’esprit allemand, puisque je veux suivre les différens mouvemens de l’Allemagne depuis une quinzaine d’années. Qu’y a-t-il donc au fond de ce système, et pouvait-il tenir toutes ses promesses ? Il avait promis de donner à l’Allemagne ce qu’elle cherchait depuis long-temps, la conscience complète, la complète possession d’elle-même ; il s’annonçait comme le résultat le plus légitime de toutes ses œuvres, et ce résultat, quand la clarté se fit, ce fut le dernier terme d’un panthéisme qui convenait sans doute au génie contemplatif de l’Allemagne, mais qui, poussé à de telles extrémités, la frappa d’épouvante. On oublia la grandeur incontestable de ces constructions métaphysiques, on n’en vit plus que les conséquences mises tout à coup en lumière, et peu à peu cette protestation presque universelle alla toujours croissant. Une plainte douloureuse s’éleva et monta de toutes parts comme ces rumeurs sourdes qui précèdent les révolutions. Du milieu de cette immobilité à laquelle elle était condamnée par le système de Hegel, il fallut que l’Allemagne rentrât dans la vie pratique. Ce fut le moment de la crise. Les uns se rejetèrent vers le passé ; les autres, les plus ardens, voulant introduire la doctrine nouvelle dans le domaine