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FERNAND.

quitte une femme, cette femme n’a plus qu’à se jeter par la fenêtre, à moins qu’elle ne préfère se laisser mourir de chagrin ! Les femmes en rient entre elles. Je soupçonne, pour ma part, qu’il leur déplaît moins d’être quittées que nous ne nous plaisons à le croire. La preuve en est que, lorsque nous leur restons, ce sont elles qui nous abandonnent. Rassure-toi donc, et ne t’exagère pas avec trop de complaisance la gravité du mal que tu vas faire ; sois humble, tu seras soulagé. Que se passe-t-il ? Jusqu’à présent rien que je sache. Que va-t-il se passer ? Dieu seul le peut savoir. Quoi qu’il arrive, sois sûr que l’harmonie universelle n’en sera point troublée.

Ami, crois-moi, hâte-toi d’en finir avec cette vie qui n’a plus pour excuse l’entraînement, l’amour et le bonheur ; arrache-toi de ce ténébreux abîme dans lequel tu viens d’enfouir les plus belles années de ta jeunesse. Aujourd’hui, il en est temps encore ; demain, peut-être, il serait trop tard. Je ne me donne ni pour un quaker ni pour un puritain : je ne fais profession ni de vertu ni de morale, je hais les pédans et les cuistres, les hypocrites et les cafards ; mais lorsqu’on s’est attardé trop long-temps dans ces liaisons que réprouve le monde, je sais à quel prix on en sort, heureux lorsqu’on peut en sortir ! On s’y abandonne aisément ; il semble qu’on sera toujours maître de reprendre sa place au soleil dans cette société dont on a fait si bon marché d’abord, et à laquelle il faut tôt ou tard revenir. En effet, voici qu’un beau jour on sent s’éveiller en soi le sentiment de l’ordre et du devoir, l’instinct de la famille, le besoin des affections permises ; mais lorsque, tendant la main vers ces trésors follement dédaignés, nous voulons franchir la distance qui nous en sépare, bien souvent il arrive qu’épuisés par de vains efforts, nous retombons dans le gouffre que nous avons creusé nous-mêmes, et qui finit par nous engloutir. Combien d’existences ainsi perdues qui promettaient au début d’être honorables et fécondes ! Que d’infortunés, retenus au passé par un clou de fer, qui voient se fermer à jamais devant eux les portes d’or de l’avenir ! Tu es jeune, tu peux tout réparer ; hâte-toi, ne croupis pas plus long-temps dans ce bagne infect qu’on nomme l’adultère. C’est toi qui l’as dit, quelle vie ! quel enfer ! C’était bien la peine, pour en venir là, de trahir le plus noble cœur qui ait jamais battu dans une poitrine humaine !

Le jour même de ton départ, je me suis présenté chez le comte. Je l’ai trouvé seul au salon ; sous prétexte d’une forte migraine, Mme de Rouèvres s’était retirée de bonne heure dans son appartement. Aussitôt qu’il m’a vu entrer : — Vous savez, m’a-t-il dit en