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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

Comment les études théologiques, si élevée, si fécondes jadis en Allemagne, ont-elles pu tomber dans cette confusion ? Je sais bien qu’il reste encore de sérieux travaux, mais ce sont des travaux de critique et d’érudition, non pas de dogme et de pensée. Si M. Neander continue d’exercer sur les recherches historiques sa studieuse influence, on n’a pas remplacé Schleiermacher. La vérité est que les bons esprits, dégoûtés de tant de dérèglemens, ont eu peur des idées et se sont réfugiés dans l’histoire. Je parlerai un jour de ces monographies récentes qui ont éclairé bien des époques à peine connues ; mais parmi les études plus élevées de métaphysique religieuse que pourrait-on citer avec honneur ? La jeune école hégélienne a jeté partout une sorte de terreur panique, et, dans cette déroute universelle, on lui a laissé le champ libre.

Voici cependant un livre publié récemment, qui a mérité l’attention publique : c’est un court travail de M. Strauss. Pendant la guerre bruyante qu’il a soulevée, M. Strauss écrivait ce paisible ouvrage. Ce sont deux articles publiés dans un recueil littéraire et réunis sous ce titre : Deux Feuilles pacifiques. Le premier est une visite à son compatriote Justinus Kerner. Il va voir le charmant poète à Weinsberg, et, chemin faisant, il conte à l’ami qui l’accompagne ses premières relations avec Kerner ; il rappelle l’époque où il commentait ses études de théologie, combien il était plongé dans le plus ardent mysticisme, lui, ce destructeur de mythes ; comme il se nourrissait des écrits de Jacob Boehme, et ne comprenait rien à Kant, à Fichte, à Schelling. Tout cela est dit avec beaucoup de grace. Il raconte sa visite à la visionnaire de Prévorst, qui demeurait chez Kerner, et le pieux et mystique effroi qui le saisit : quoi ! ce qu’il a de plus sacré, de plus cher, de plus caché, son être, le fond le plus intime de sa personne, tout cela va être aperçu par ce regard si lucide de la visionnaire ! il n’a plus rien qui lui appartienne en propre ! N’est-ce pas le sol qui manque sous ses pas ? Et comme il attend, plein de terreur, la fatale sentence, quand tout à coup la visionnaire lui dit qu’il ne sera jamais un incrédule ! Cependant Strauss et ses amis continuaient leurs études d’université ; Hegel était mort, mais Schleiermacher agissait vivement sur leurs esprits ; le charme singulier de son exposition, la finesse aimable de sa dialectique, les remplissaient de joie et peu à peu les attiraient du mysticisme à la science. C’est au milieu de ces souvenirs doucement évoqués que le voyageur arrive chez son hôte. Puis, après une gracieuse description de la maison du poète, de son intérieur, de