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des fadaises, rien n’entretient mieux sa naturelle indolence, que ce fâcheux procédé de publication successive et fragmentaire. Voilà maintenant que, du camp des romanciers, l’épidémie gagne le camp des critiques, au grand profit de ces mêmes faiseurs de nouvelles, qui sont fort aises de trouver ainsi des complices, dans les juges qui les fustigeaient naguère. Il est, en effet, évident que toutes ces revues périodiques du monde fashionable, auxquelles les journaux accordent aujourd’hui une place régulière, sont précisément à l’ancienne critique littéraire, à la critique sérieuse, instruite, raisonnée, ce que sont les romans improvisés, les contes maladifs, les communes et mélodramatiques histoires du feuilleton, aux compositions de l’art véritable, aux œuvres patientes de l’imagination créatrice. Maintenant, est-ce aller trop loin que de faire la mode des courriers de Paris responsable, pour une bonne part, de la décadence chaque jour plus évidente de l’esprit critique ? Quoi de plus propre effectivement à pervertir le goût, à répandre l’amour des futilités, que ce dilettantisme insouciant, que ce caquetage sans consistance, que tout ce prétentieux jargon, et surtout que l’attention ramenée sans cesse sur les petites choses, au continuel détriment des grandes ? À l’heure qu’il est, le roman industriel tient, dans la plupart des journaux quotidiens, toute la place qui peut y être donnée aux lettres : quelque humble coin demeurait pourtant çà et là, où un reste de critique littéraire se réfugiait, où se glissait encore furtivement l’examen des productions contemporaines. C’est ce dernier asile, que le feuilleton bavard et soi-disant mondain a envahi ; c’est là qu’il s’est installé, en prenant sans façon toute la place. La critique peut bien lui en garder quelque rancune.

Assurément il serait injuste de confondre Mme de Girardin avec les ternes imitateurs qui ont essayé de la suivre : après tout, ce lui est déjà une tâche assez pesante que d’avoir à répondre de ses propres œuvres. On n’en saurait disconvenir, rien ne ressemble moins aux agréables légèretés, à la bonne humeur, au minois dédaigneux, au petit style chiffonné du gentil, et bruyant vicomte, que les grosses plaisanteries et les airs empesés de ses confrères : d’un coup de bride, et sans y penser, le svelte courrier dépasse les lourds postillons (plus lourds encore par le contraste) qui se sont mis à caracoler à ses côtés. L’auteur des Lettres Parisiennes, au moins, avait le style, le tour, l’esprit, tout ce qui manque aux autres : il n’a partagé avec eux que la prétention et ces tons affectés qui ne sont autre chose que le pédantisme de la grace.