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L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

nous. L’inexprimable impopularité dont ils sont en possession ne leur permet pas d’avouer hautement leur nom et leur institut. La congrégation ne paraît pas, mais les individus qui lui appartiennent remplissent les séminaires, dirigent les diocèses, et dominent l’église. En 1828, il fut constaté que huit petits séminaires étaient tout-à-fait entre les mains des jésuites : pour excuser cet état des choses on alléguait que ce n’était pas la compagnie elle-même qui possédait ces établissemens, que seulement la direction en était confiée à des individus qui ne se distinguaient des autres ecclésiastiques par aucune nomination particulière, bien qu’ils suivissent pour leur régime intérieur la règle de Saint-Ignace[1]. À quinze ans de distance, nous aurions besoin d’une autre enquête : on trouverait plus de jésuites aujourd’hui que sous Charles X.

C’est un principe de noble droit public ancien et nouveau qu’une association religieuse ne saurait exister sans la sanction législative, et cette sanction, on peut prédire à la compagnie de Jésus qu’elle ne l’obtiendra jamais ; le ministère de M. de Polignac n’eût pas osé la demander. Quand Louis XVI, et ce fait a été cité sous la restauration, voulut tempérer la rigueur des édits qui avaient banni les jésuites, il fut expressément stipulé qu’à aucun titre, les jésuites ne pourraient s’immiscer dans l’instruction publique, tant on avait reconnu le danger de l’action de cet institut sur la jeunesse. Cependant aujourd’hui plusieurs de nos évêques, de connivence avec les jésuites, les couvrent de leur protection. Le langage du clergé et de ceux qui écrivent pour lui change suivant les circonstances ; tantôt on avoue les compagnons de saint Ignace, tantôt on demande où ils sont : ici on se sert de ruse, là on a du front ; ce sont les mille artifices, les figures diverses, et les déguisemens infinis de Protée, ce précurseur des jésuites.

Nous sommes moins avancés qu’au XVIIIe siècle, et il nous faut recommencer une lutte qui semblait terminée. D’Alembert écrivait sur la destruction des jésuites, nous sommes obligés de nous occuper de leur résurrection. Les penseurs du dernier siècle avaient envers tous les ordres religieux une impartialité facile, car ils avaient pour eux un égal dédain. Entre les jésuites et les jansénistes, d’Alembert était sans préférence. Il voulait qu’on réprimât et qu’on avilît également les deux partis. Il disait qu’il était arrivé aux jésuites et aux

  1. Voyez le rapport adressé au roi, le 28 mai 1828, par M. de Quélen, archevêque de Paris, et par M. le baron Mounier, au nom de la commission formée sur la proposition de M. le comte Portalis, alors garde-des-sceaux.