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FERNAND.

Le jour même où je reçus ta lettre qui m’enjoignait de partir, je partis. À Clisson, je me fis indiquer la route de Peveney, et me pris à suivre un sentier qui remonte le cours d’une rivière plus poétique en ses détours que ne le fut jamais le Méandre. Après deux petites heures de marche, j’aperçus, à mi-côte, dominant une riche vallée et se mirant dans le cristal de l’onde, un joli castel que je reconnus aussitôt. J’entrai par la grille du jardin, et présentai ma lettre d’introduction à tes gens. Je soupai, fis un tour de jardin, et m’allai coucher. Tes dahlias sont magnifiques, et ton vin de Bordeaux est exquis.

Le lendemain, je me levai, sinon avec l’aurore, du moins assez tôt pour ne pas laisser refroidir le déjeuner qu’on venait de servir. Une fois à table, je ne pus m’empêcher d’admirer ce que je n’avais pas songé à remarquer la veille, l’élégance du service et la perspective enchantée que m’ouvrait, en guise de fenêtre, une glace sans tain sur la vallée et sur les coteaux. J’aime à voir ainsi, par une heureuse disposition, le paysage et la salle à manger se prêter des graces mutuelles. Les vins en ont plus de parfum, la nature en paraît plus belle. Mais elle est triste au cœur de l’hôte, l’hospitalité à laquelle il ne manque rien que la présence de celui qui la donne ; je me disais : — Que n’est-il là ! — et je me sentais près de pleurer.

Je passai cette journée à visiter ton manoir. Je devinai dans son étui de serge verte le fusil qui effraya si fort Mlle de Mondeberre enfant. Je restai long-temps à promener mes regards autour de la chambre où s’est noué si fatalement le nœud qui t’étouffe. Pauvre et cher garçon ! c’est là que s’est livrée ta bataille de Waterloo. Il m’a semblé voir gisant sur le parquet les ailes mutilées de tes rêves et de tes espérances. Mais, ami, tu ne m’avais pas assez vanté les délices de ton ermitage : tout m’y ravit, si ce n’est ton absence. Puissent l’amour et le bonheur t’y ramener un jour, cher Fernand !

Sur le soir, fidèle à ma mission, je pris mes crayons, mon album, et, suivi de tes chiens, je m’enfonçai dans un sentier que je savais devoir me conduire où ton ame habite. Malheureusement, je n’avais pu calculer la distance, et la nuit descendait déjà des coteaux dans la plaine, que je n’étais point encore arrivé au but de mon expédition. J’entrevis le château dans l’ombre. Après avoir longé un mur d’enceinte, je trouvai cette petite porte dont tu m’as tant de fois parlé. Je me décidai à l’entr’ouvrir furtivement, non sans émotion ; mais je m’esquivai aussitôt, en entendant un bruit de pas sur les feuilles sèches.