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vous êtes mon prisonnier, ajouta-t-elle en souriant. — Tu penses bien que je ne résistai guère à tant de grace et de prévenance. Je dînai au château et ne retournai à Peveney que le soir.

Ami, j’ai passé là quelques heures que je n’oublierai de ma vie. Je voudrais te parler des deux anges, mais je n’ose, car je craindrais d’irriter tes douleurs et de redoubler tes regrets. Je sens pourtant qu’il faut que je réponde à toutes les questions que m’adresse ton cœur impatient.

Mlle de Mondeberre m’a paru grave, triste et fière. Elle était vêtue d’une robe de soie grise montante, pareille à une amazone, moins la jupe traînante ; la torsade d’un tablier de moire noire entourait sa taille élégante et souple ; elle portait un col blanc et plat tout uni avec des manchettes également unies et plates, relevées sur le poignet et découvrant l’aristocratique blancheur d’une main fine et alongée. Ses cheveux blonds, magnifiquement tordus et noués derrière la tête, se rabaissaient sur son front en bandeaux légèrement renflés vers les tempes. Un brodequin de coutil gris pressait son pied étroit et cambré. À la façon dont elle m’a reçu, j’ai cru comprendre que Mlle de Mondeberre m’en voulait secrètement de ne pas être un autre que moi-même. Elle n’a pas prononcé ton nom, et chaque fois qu’il a été question de toi, elle est restée impassible et muette. D’ailleurs, Mme de Mondeberre ne m’a parlé de toi qu’avec une excessive réserve ; j’y mettais moi-même une discrétion qu’il te sera bien aisé d’imaginer : de sorte que l’unique pensée de nos trois cœurs fut en apparence ce qui nous préoccupa le moins. Quand nous nous mîmes à table, je devinai le regard d’Alice qui te cherchait à ta place vide. Après dîner, M. Gaston de B… l’ayant priée de se mettre au piano, elle s’en défendit en disant qu’elle n’avait joué ni chanté depuis près de trois mois. Le cousin ayant insisté, de guerre lasse Mlle de Mondeberre essaya de chanter en s’accompagnant ; mais, au bout de quelques mesures, elle s’interrompit brusquement, se leva, et revint s’asseoir près de sa mère, qui la pressa contre son sein avec une expression de tendresse indicible. Ce sont deux ames qui s’entendent et se comprennent en silence.

M. de B… ayant pris à part Mme de Mondeberre pour s’entretenir avec elle, je restai près d’un quart d’heure en tête à tête avec Alice. Je réussis à l’apprivoiser. Tout en causant, je feuilletais un des albums qui couvraient la table du salon ; j’y trouvai, sur un coin de carton de Bristol, un petit dessin signé du nom d’Alice et représentant le château de Mondeberre vu du côté de la prairie. J’amenai douce-