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luttes belles et fécondes. Il se retrempa aux réalités de la vie ; comme le géant de la fable, en touchant la terre, il retrouva ses forces.

Rentré chez lui, M. de Peveney brûla la lettre d’éternel adieu qu’il avait écrite le matin à Mme de Mondeberre, et le lendemain il trouva un prétexte qui lui fit une obligation de retourner le soir au château. Il en est des ames aux prises avec la douleur comme du chêne et du roseau battus par le vent de la tempête : où les fortes se raidissent et succombent, les faibles plient et se relèvent. Ainsi, Fernand subissait déjà des influences amollissantes. Il était toujours décidé à partir, et n’imaginait pas que le remords qui le consumait dût jamais s’apaiser ni s’éteindre. Il s’interdisait tout espoir et continuait de se regarder comme retranché du nombre des vivans. Toutefois, il ne partait pas ; les impressions terribles s’effaçaient chaque jour, et ses facultés de souffrir, usées déjà par la solitude, achevaient de s’amortir dans l’atmosphère des douces relations. Quoique dans un avenir encore lointain, on pouvait croire sa guérison d’autant plus probable, que, la jugeant lui-même impossible, il ne faisait rien pour y résister. Un soir, en rentrant, il aperçut dans la cour sa chaise réparée et garantie jusqu’au bout du monde. Il donna des ordres pour qu’on la remisât, et le lendemain il écrivit à son notaire pour lui enjoindre d’ajourner la mise en vente de ses propriétés.

Cependant la vie du château avait pris une face nouvelle. Mlle de Mondeberre se relevait comme un beau lis. L’éclat de la jeunesse et de la santé reparaissait peu à peu sur ses joues ; l’azur de ses yeux s’était éclairci ; son corps avait retrouvé cette démarche souple et légère que donnent la joie et le bonheur. Après avoir grandi dans la solitude et s’être développé dans l’absence, l’amour de cette enfant venait de se changer en une passion exaltée et profonde. Comment aurait-il pu en arriver autrement ? Ce jeune homme qui avait disparu tout d’un coup comme emporté par un orage, et qui revenait, après trois ans d’une vie errante, pâle et souffrant, mystérieux et sombre, réunissait toutes les conditions nécessaires pour frapper vivement une ame de vingt ans, déjà depuis long-temps éprise. Alice n’échappa point aux poétiques séductions du malheur : son imagination acheva ce que son cœur avait commencé.

Il n’en fut pas ainsi de Mme de Mondeberre, qui observait d’un œil à la fois inquiet et charmé les changemens qui s’opéraient sur le front et dans l’humeur d’Alice ; sa prudente sollicitude ne s’en alar-