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FERNAND.

mords la part assez large, assez belle. Le temps était venu d’en finir avec le passé ; Fernand le précipita dans l’éternel oubli, comme un navire qu’on coule à fond, ou comme un cadavre qu’on jette à la mer ; puis, par un de ces brusques mouvemens de résolution que parfois la passion imprime aux esprits les moins résolus, il s’élança, libre et joyeux, vers les félicités que lui promettait l’avenir. Ce fut en lui une soudaine et complète transfiguration. Il sentit la jeunesse affluer à flots pressés dans son sein, et, dans l’ivresse de son être régénéré, il poussa vers le ciel un cri d’amour et de bénédiction. Heureux, heureux enfin, il touchait au port ; il apercevait les rivages enchantés et paisibles vers lesquels il avait toujours soupiré ! Du haut de la rude montagne qu’il venait de gravir, il saluait avec des transports pleins de larmes Mondeberre, qui lui apparaissait comme une terre promise, couverte de fruits et de fleurs.

Il ne s’était pas couché de la nuit. Il ouvrit sa fenêtre, s’appuya sur le balcon et regarda le jour se lever. Regarde-le, jeune homme infortuné, ce jour radieux et pur qui se lève sur tes espérances. Savoure à longs traits cet air enivrant qui t’inonde. Double, triple les facultés qui te restent pour le bonheur. Ne repousse aucune des sensations que t’apporte le vent du matin ; laisse la brise rafraîchir ton front et l’illusion caresser ton ame. Hâte-toi de vivre, hâte-toi d’aimer ! La nature est immortelle, mais l’homme n’a pas même un jour.

Après avoir vu le soleil monter à l’horizon, Fernand, épuisé par tant d’émotions, se jeta tout habillé sur son lit. Il s’assoupit dans la joie de son cœur, et cependant il fit un rêve étrange. Il rêva qu’il était couché vivant dans un cercueil de plomb, et que, sous le couvercle à demi soulevé, il voyait une jeune et belle fille, aux cheveux d’or, aux yeux d’azur, qui le regardait en souriant et lui tendait la main en disant : — Ami, lève-toi ! — Mais toutes les fois qu’il essayait de se lever et de prendre la blanche main, le couvercle de plomb retombait sur son front et lui meurtrissait le visage. Il luttait depuis près d’une heure contre cet horrible cauchemar, quand il se réveilla en sursaut et sauta à bas de son lit. La porte de sa chambre venait de s’ouvrir, et il se trouva face à face avec un personnage qu’il connaissait trop bien. Fernand pensa d’abord qu’il n’était pas bien éveillé, et que c’était la suite de son rêve. Il fit deux pas en arrière ; l’étranger en fit deux en avant, puis ils restèrent à se regarder l’un l’autre. Cet homme était si changé, que M. de Peveney, au premier abord, le devina plutôt qu’il ne le reconnut. Son teint avait bruni ; son front s’était bronzé ; sa barbe longue, épaisse et noire, contribuait à donner