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endroit par de généreuses ambitions qui n’attendaient que le signal pour se produire. Ce drame de Shakspeare n’était pas seulement un noble spectacle ; c’était une machine de guerre. On tiraillait sur l’ennemi, sur l’absolutiste littéraire, jusque du haut du balcon de Juliette, et on espérait bien avec Roméo escalader, en dépit des unités, cet asile, ce sanctuaire trop interdit d’émotions et d’enchantemens. Pourquoi faut-il que, le jour où toutes les barrières sont brusquement tombées, quand la brèche a été plus qu’entr’ouverte, personne, presque personne, ne se soit plus trouvé là pour entrer !

Douze ans après, on a subi la revanche, et bien légitime, convenons-en, on a eu l’accès inverse de cette ivresse première. L’ancien répertoire, Racine en tête, a fait sa rentrée par Mlle Rachel : ç’a été toute une restauration. Elle ne paraît pas près de finir. Mais, comme les belles œuvres ne sauraient jamais s’exclure, soyons et demeurons heureux de les embrasser. M. Magnin n’a pas cessé un moment de penser ainsi, et, comme critique, il a donné la main aux deux triomphes.

Cependant, pour nous en tenir à lui, un contraste a dû frapper d’abord. Nous l’avions laissé offrant son bouquet à Racine, à Despréaux, et, un an après, il était l’un des plus actifs à l’avant-garde des novateurs. Il n’avait pas changé son culte, il l’avait agrandi. L’impulsion dont tout esprit a besoin, et qui a son heure, lui était venue. Pour le critique, c’est-à-dire pour l’écrivain de comparaison et d’expérience, cette impulsion doit surtout venir du dehors en se combinant avec le train habituel et avec les forces acquises. Ayant peu écrit dans sa première jeunesse, nourri d’études classiques, élevé au nid de la littérature française, M. Magnin se trouvait avoir un grand fonds en réserve, des habitudes sûres, une circonspection qui n’excluait pas la vivacité et qui allait la diriger. Il porta tout aussitôt et ne cessa de garder les qualités antiques dans l’adoption des œuvres et des doctrines nouvelles. C’est là son trait original. L’ancienne critique, à voir paraître cet adversaire inattendu, ne pouvait méconnaître ni son propre costume, ni ses formes mêmes, en ce qu’elles avaient de net, de judicieux et d’excellent ; elle s’étonnait d’autant plus des conséquences :

Miraturque novas frondes et non sua poma.

Quand il s’agissait des tentatives modernes, M. Magnin, sans se révolter ou s’engouer, sans parti pris, mais avec curiosité, ouvrait le livre, le lisait plume en main, l’analysait, citait ce qu’il trouvait de