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SITUATION DE L’ESPAGNE.

agens restés fidèles à la gloire éclipsée d’Espartero ; les autres sont soulevés par une intrigue de cour. Il n’y aurait rien de sérieux dans toutes ces démonstrations, si, au-dessous de ces prétendus partis, n’était cette masse confuse d’esprits inquiets et de caractères ardens à qui pèse toute société organisée, tout pouvoir constitué, et qui aiment le désordre pour lui-même. Ceux-là seuls sont à craindre, quelque nom qu’ils prennent, parce que ceux-là seuls sont un peu nombreux et suffisamment résolus. Nous ne parlons pas des carlistes ; ils ne bougent pas.

Dès l’instant qu’un gouvernement n’a à lutter que contre de pareils ennemis, sa victoire doit être facile, car il a pour lui tous les intérêts légitimes et toutes les opinions sérieuses. Aussi avons-nous vu les tentatives échouer jusqu’à présent. Les conspirateurs ont compris que, s’ils n’empêchaient pas la réunion des cortès, la bonne cause aurait une chance de plus pour l’emporter. Ils n’ont donc rien épargné pour mettre le feu aux quatre coins de l’Espagne et rendre les élections impossibles. Ils n’y ont pas réussi. Si trente ans de révolutions ont laissé dans beaucoup d’esprits des habitudes d’indiscipline, elles ont aussi fait naître dans beaucoup d’autres le sentiment de l’ordre et la volonté de le maintenir. Tel est en effet le double résultat de ces épreuves prolongées, qu’elles développent à la fois le bien et le mal, et donnent des armes à la résistance en même temps qu’elles fortifient le mouvement.

Les mesures étaient parfaitement prises, et sur tous les points de la Péninsule l’insurrection a levé la tête. On a suivi à la lettre le programme des derniers pronunciamientos, espérant que ce qui avait si facilement réussi pourrait bien réussir encore ; mais il y a, même en Espagne, pronunciamientos et pronunciamientos. Ceux-ci n’étaient pas de la bonne espèce. À Cadix, à Cordoue, à Séville, à Santander, à Ségovie, à Trujillo, à Grenade, à Malaga, à Almeria, il s’est trouvé quelques meneurs pour courir les rues en criant : Vive Espartero ! vive la junte centrale ! À Zamora, on a crié : Vive Charles V ! La population n’a répondu nulle part à l’appel, et le pronunciamiento a été partout étouffé dans son germe ou aisément réprimé. À Madrid même, on a eu de nombreuses alertes. Presque chaque nuit c’était une menace d’émeute. Il paraît que les conspirateurs sont allés jusqu’à mettre le feu à une poudrière pour jeter le trouble dans la ville et profiter du premier moment de surprise. Cette affreuse tactique n’a pas eu plus de succès que les autres ; à Madrid comme ailleurs, et plus sûrement qu’ailleurs, les machinations ont été prévenues.