Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
FERNAND.

la cultivent. Tu ne sais pas, toi, de quel amour on se prend à l’aimer, et combien cet amour, à l’encontre de quelques autres, est sain au cœur et à l’esprit ! Le soir, je monte à cheval, et la journée s’achève à Mondeberre. Là, on cause, on lit, on parle de ce qu’on a lu ; quelque vieux gentilhomme du voisinage vient se mêler à l’entretien. Mlle de Mondeberre se met au piano et chante ; on va s’asseoir sur le banc de pierre, sous les touffes de lilas et de faux ébéniers, ou bien, si la soirée est belle, on fait atteler la calèche, et l’on gagne Mortagne ou Tiffauges. On admire le paysage, on s’arrête devant les ruines, on évoque les vieux souvenirs. Près de se quitter, on s’étonne de la fuite des heures, et l’on se sépare en échangeant ce doux mot : À demain ! Si je compare l’existence que je mène ici avec celle que je menais là-bas : ici, le repos dans le travail, des jours sereins, des relations paisibles, de chastes affections avouées à la face du ciel ; là-bas, l’agitation dans l’oisiveté, les soucis rongeurs, les efforts impuissans d’un amour épuisé, les querelles à essuyer, les soupçons à subir ; tous les tiraillemens, toutes les exigences d’une passion qu’on ne partage plus, tout cela dans l’ombre et n’osant se montrer : alors je me demande comment il s’est pu faire que j’aie vécu là-bas de cette rude vie, lorsque j’avais ici un Éden ouvert à toute heure.

Mlle de Mondeberre est charmante ; telle dut être sa mère à seize ans. Je ne sais rien de plus poétique ni de plus touchant que l’intérieur de ces deux femmes, qui, sans autre ressource que leurs tendresses mutuelles, se font l’une à l’autre un monde toujours nouveau. Je ne pense pas qu’il soit possible de rencontrer entre deux créatures plus d’harmonies et de rapports, plus de sympathies et de convenances. Leurs cheveux ont la même nuance, leurs yeux le même azur, leurs lèvres le même sourire, leur ame et leur esprit le même goût et le même parfum. Seulement, à cause de son éducation solitaire, n’ayant jamais quitté le domaine où elle a grandi, Mlle de Mondeberre a quelque chose de plus agreste et de plus sauvage qui ne messied point aux graces de la jeunesse. Élevée loin du monde, elle en ignore le langage et les habitudes ; mais il y a en elle cette élégance de race, cette distinction native que le monde n’enseigne pas. Elle est à la fois simple et fière, intelligente autant que belle. Pourquoi ne le dirais-je pas ? Parfois, en la contemplant en silence, je me prends à songer au temps où j’approchais mes lèvres de cette fleur, alors en bouton ; aux jours où mes doigts jouaient familièrement avec ces cheveux d’or, où ma main pressait cette main, où mon bras enlaçait cette taille. À ces souvenirs, malgré moi confus