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sous leurs ordres la garde nationale, sans que le gouvernement eût le pouvoir de la dissoudre, de la désarmer, et sans qu’il fût possible de leur opposer autre chose qu’une armée mal payée, mal équipée, habituée à voir réussir toutes les insurrections ? Qu’on se représente où nous en serions avec un gouvernement qui n’aurait ni argent, ni troupes, ni autorité légale, ni action politique, et avec des municipalités qui auraient tout cela. Nous passerions notre temps dans des luttes locales sans utilité comme sans grandeur.

Il sera sans doute très difficile d’enlever aux ayuntamientos le pouvoir extravagant dont ils jouissent. Il le faut pourtant absolument ; rien n’est possible en Espagne sans cette condition première, ni l’unité gouvernementale, ni la constitution financière, ni la paix publique, ni même la police des routes. Les modérés ont essayé une fois de réformer ce régime déplorable ; une loi municipale calquée sur la nôtre a été votée par les cortès de 1840. Les municipalités menacées se sont soulevées, et, avec l’aide d’Espartero, elles ont chassé la reine Christine. La loi votée par les cortès et sanctionnée par la couronne n’a pas reçu d’exécution. À la rigueur, on pourrait se dispenser d’en discuter et d’en voter une nouvelle, car celle-là existe suivant la constitution, elle a été revêtue de toutes les formalités qui la rendent exécutoire. Tous les partis sérieux sont d’accord maintenant pour la désirer, car ils ont tous appris à leurs dépens les vices de la loi actuelle. La grande difficulté est de la faire accepter par les ayuntamientos investis d’une autorité absolue et appuyés par des milices nationales en armes. Chaque pueblo ou commune est un véritable fort à emporter.

Telle est la condition du nouveau gouvernement, que, s’il touche à la loi municipale, il s’expose à une révolution, et que, s’il n’y touche pas, il ne peut rien faire pour remédier au désordre qui dévore l’Espagne. C’est là, sans contredit, la plus grande question qui puisse être soumise aux cortès. Elle est bien autrement grave, nous le répétons, que celle du mariage de la reine. Quand même le pouvoir royal resterait déposé, après le mariage, dans d’aussi faibles mains qu’aujourd’hui, nous n’y verrions pas un grand mal. C’est la faiblesse même de la reine Isabelle, c’est sa jeunesse et son innocence, qui ont sauvé le principe monarchique au milieu des convulsions politiques du pays : les factions se sont arrêtées devant un enfant. Il n’en est pas de même du gouvernement proprement dit ; il faut qu’il soit fort, obéi et respecté, pour être durable. Or, tant que les municipalités resteront ce qu’elles sont, le gouvernement, quel qu’il soit,