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LITTÉRATURE ANGLAISE.

perceptible et fade émanation qui réveillait l’idée du jeûne et d’un bouillon de légumes servi dans des assiettes de bois. Sur ce, je m’étais représenté ces pauvres filles mélancoliquement attablées autour de ce pâle brouet, tandis qu’une vieille et jaunâtre discrète, perchée dans la chaire aux lectures, leur marmottait quelques extraits de sermon… »

Avec de telles idées, M. Titmarsh ne peut croire au bonheur des religieuses. Vainement, la sœur Deux-Huit lui sourit-elle à chaque parole ; vainement déclare-t-elle que son existence n’a rien de pénible : notre beefeater n’accepte ce témoignage que sous bénéfice d’inventaire. Il lui paraît hors nature qu’un bouillon d’herbes suffise à la félicité humaine. Ce phénomène extraordinaire mérite confirmation. Et il continue d’un œil soupçonneux la revue du couvent ; il entre dans les petites cellules, non sans un serrement de cœur, et se rassure à peine en voyant le mobilier si modeste et si propret, le lit de fer à rideaux de serge verte, l’armoire en bois blanc, la chaise de paille, l’image d’un saint encadrée de papier doré, la Vierge au cœur sanglant, le crucifix, et devant lui la petite bougie de cire : « Et c’est là, s’écrie encore notre comfortable touriste, c’est là que passent leur vie entière ces pauvres choses voilées de noir !

La sœur Deux-Huit lui montre ensuite, avec un certain amour-propre de nonnain, l’orgue de la chapelle, en bel acajou ; puis le musée du couvent (pauvre fille, Titmarsh en avait tant vu, et de si beaux !), c’est-à-dire, dans une armoire vitrée, un soulier chinois, deux ou trois vases venus de l’Inde, trois ou quatre médailles des papes, et une douzaine de volumes de théologie, publiés et reliés en France sous Louis XIV. « Elle nous montrait tout cela, s’écrie Titmarsh, avec l’empressement et le babil aimable d’un enfant qui étale ses joujoux ! — Une seule sœur, disait-elle avec un naïf et respectueux étonnement, une seule sœur, en y consacrant, il est vrai, toute sa vie, avait formé cette collection. — Quant à moi, j’étais presque attendri. La pauvreté même de ce trésor le rendait intéressant à mes yeux. Un peu plus riche, il eût été ridicule. À ce degré de dénûment, il inspirait une respectueuse pitié. »

Rarement Titmarsh est aussi sentimental qu’à propos des Ursulines, et encore cette sentimentalité ne dure-t-elle pas long-temps ; témoin l’apostrophe que lui inspire la vue de la grille où ces jeunes victimes, les mains pressées entre celles de l’évêque, consomment le sacrifice suprême de leurs espérances en ce monde. « C’est là, dit Titmarsh, que s’accomplit le suicide du cœur… Ô brave Martin Luther ! Dieu merci, vous avez renversé cet autel d’enfer, ce paganisme maudit. Laissons des retraites pareilles à ceux que la mort a isolés, que les remords poursuivent, que les chagrins ont abattus. Ô femmes, si vous voulez battre et lacérer vos poitrines dans des cavernes et des solitudes, si vous voulez finir comme Madeleine a fini, commencez aussi comme Madeleine ! »

Le conseil est léger, mais heureusement sans périls pour les femmes d’Irlande, qui, s’il faut en croire notre voyageur, sont à la fois les plus belles et les plus chastes de la création. Remarquez, s’il vous plaît, l’inconséquence