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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Quelle tristesse continue dans sa correspondance et dans sa vie, lorsqu’il arrête ses regards sur cette royale enfance à laquelle il va bientôt manquer, et qu’il prévoit les luttes des grands de sa cour contre ce trône qu’il n’occupera plus ! C’est dans la divination et dans l’astrologie judiciaire que sa grande ame, atteinte par les faiblesses de son temps, se réfugie pour échapper aux mauvais présages et aux sinistres pressentimens, pour se délivrer de soupçons qui ne s’arrêtent pas même devant la fidélité du duc de Sully[1]. Que feront Soissons et Condé, Guise et Mayenne, Lesdiguières et Bouillon, Rohan et Soubise ? Que feront ces gouverneurs insaisissables dans leurs provinces, où plusieurs entretiennent des relations connues avec la Savoie et l’Espagne ? Que décideront dans leurs synodes et leurs assemblées provinciales ces farouches prédicans et ces rudes huguenots de Nîmes et de La Rochelle ? quel usage feront-ils des canons dressés sur leurs remparts et des garnisons entretenues à leur solde ? Enfin entre la féodalité princière et une royauté sans prestige, de quel côté ira la noblesse, lorsque le vieux chef au panache blanc aura cessé de la rallier ? La France entière se posa ces redoutables problèmes sitôt que le poignard de Ravaillac eut arrêté le cours de la noble vie si long-temps menacée. Chacun comprit que tout était remis en question, et que l’abîme des révolutions était rouvert.

Jamais cri — le roi est mort — ne suscita par tout le royaume une plus vive émotion. Ce fut sous l’influence de cette appréhension universelle que le parlement de Paris, stimulé par les menaces et par l’épée du duc d’Épernon, proclama cette régence maternelle qui devait être bientôt si violemment contestée. À l’annonce du régicide, Sully lui-même s’était confiné dans la Bastille pour voir venir les évènemens ; les villes de sûreté avaient levé les herses de leurs ponts-levis, et les gouverneurs des provinces, hésitant entre la reine-mère et les princes du sang, attendirent sans se prononcer l’issue d’une crise d’où dépendaient le maintien et l’accroissement de leur fortune. Cependant, par un heureux hasard, les princes en mesure de disputer la régence à Marie de Médicis étaient absens lors de la catastrophe : ils apprirent en même temps la mort du roi et la détermination hardie dont elle avait été suivie. Les vieux ministres d’Henri IV, Sully, Sillery, Villeroi et Jeannin, conseillèrent à la reine de verser l’or à pleines mains, et d’en appeler aux cupidités

  1. Mémoires de Sully, liv. XXVII.