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une large satisfaction à la liberté de conscience des réformés. La question religieuse était dès-lors hors du débat, et ne se produisait que sous un aspect purement humain. Quant aux partis politiques, on vient de les voir à l’œuvre, et bientôt nous les retrouverons encore. Alors, si Richelieu a besoin d’excuses, ces seigneurs faméliques, plus vaniteux que superbes, plus avides qu’ambitieux, se chargeront eux-mêmes de lui en fournir de surabondantes.

Qu’aurait produit, sous le règne de Louis XIII, le triomphe de cette aristocratie princière domptée par le cardinal ? Y avait-il dans tout cela un germe, si faible qu’il fût, de liberté populaire ou de grandeur nationale, une force propre à constituer la France et à fonder son importance politique ? C’est commettre une injustice véritable que de reprocher à Richelieu et à Louis XIV la chute d’une aristocratie qui n’a jamais usé avec discrétion du pouvoir, lorsque les circonstances le lui ont départi, et qui n’a jamais su se défendre lorsqu’elle a été attaquée. Que serait devenu le royaume, si, durant la minorité de Louis XIII, l’esprit du prince de Condé avait prévalu dans le gouvernement de la monarchie, si les Guise s’étaient établis en Provence, les Montmorency en Languedoc, les Longueville en Picardie ; si Lesdiguières avait conservé la sauvage monarchie de ses montagnes, le duc d’Épernon la souveraineté de la Guyenne ; si le duc de Vendôme avait ranimé en Bretagne le souffle à peine éteint de l’indépendance ? Conçoit-on une pareille organisation devant la puissance compacte de l’Espagne, maîtresse du Portugal, des Pays-Bas, de la Franche-Comté, du Milanais et du royaume de Naples ? La conçoit-on en face de l’empire germanique, contre lequel la France ne pouvait lutter que par la cohésion de toutes ses parties ? Le seul résultat de l’affaiblissement de l’autorité royale, au commencement du XVIIe siècle, aurait été l’abaissement de la France au rang de puissance secondaire. Cet abaissement aurait vraisemblablement amené une division territoriale dont la Savoie et l’Espagne eussent profité dans la mesure de leur ambition et de leurs forces. Si l’indépendance des gouverneurs de provinces s’était consolidée par des concessions irrévocables, les réformés auraient, de leur côté, donné un libre cours aux projets audacieux si souvent agités dans leurs conventicules, et dont d’ardentes prédications s’efforçaient de préparer le succès. L’exemple des cantons suisses et des Provinces-Unies offrait un encouragement aussi bien qu’un modèle, et la France, violemment jetée hors de son orbite, eût gravité en même temps vers Madrid et vers Genève.