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FERNAND.

autre amour à peine éteint, et que tu as profané son image en la mêlant aux préoccupations d’une passion agonisante. Respecte ces deux femmes, l’une parce que tout amour est respectable, même celui qu’on ne partage plus ; l’autre, parce qu’on ne saurait entourer de trop de soins et de vénération ces jeunes et blanches ames qui n’ont point secoué leur poussière virginale.

C’est tout ce que j’avais à te dire. Je me suis présenté plusieurs fois pour voir Mme de Rouèvres ; la comtesse est inabordable. Quant aux vengeances du mari, n’en ris pas. Cet homme est étrange ; il lui échappe parfois, dans l’entretien le plus paisible, des mots qui me le font regarder avec stupeur. Sous des dehors d’une simplicité réelle, il cache une énergie qui serait terrible au besoin. Heureusement, il ne se doute de rien, et ne parle de toi qu’avec affection. Il se plaint de ta longue absence, et veut t’écrire pour hâter ton retour. Ils sont tous les mêmes. Adieu.

FERNAND DE PEVENEY À KARL STEIN.

Le soleil n’envahit pas tout d’un coup l’horizon ; l’aube éveille d’abord les oiseaux et les brises ; l’orient blanchit et se colore ; de confuses rumeurs montent des vallées aux coteaux. Ainsi l’amour a son crépuscule matinal, rempli de frais mystères et de préludes enchanteurs. Pourquoi donc avoir si brusquement éclairé mon cœur ? Pourquoi cet empressement à le dénoncer à lui-même ? Pourquoi m’avoir si tôt appris ce que sans toi j’ignorerais encore ? Tu vas droit au but, et ne vois pas que tu supprimes ainsi ce que l’amour a de plus gracieux et de plus charmant, comme un homme qui retrancherait des spectacles de la nature les images et les harmonies qui précèdent le lever du jour.

Ami, qu’as-tu fait ? Je ne me doutais de rien ; j’étais sans trouble et sans défiance. Je me laissais aller mollement à la dérive du flot qui me berçait, sans m’apercevoir seulement que j’avais quitté le rivage. Je voyais cette enfant tous les jours, mais ce que j’éprouvais auprès d’elle ressemblait si peu à ce que j’avais éprouvé jusqu’alors, que j’étais loin d’imaginer que ce pût être de l’amour. Comment donc, en effet, l’aurais-je soupçonné ? L’amour n’avait été pour moi qu’une fièvre des sens, un transport au cerveau, je ne sais quoi d’inquiet et de maladif qui, même au plus fort de l’ivresse, pesait sur mon front comme une atmosphère orageuse. L’ame désordonnée d’Arabelle