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où le luxe étale ses tentations. Saint-Giles au contraire est au centre même du mouvement et de la richesse dans Londres. En quelques minutes, les bandes qui sortent de ce repaire peuvent s’abattre à volonté sur Oxford-Street, sur Piccadilly, sur Regent-Street, ou sur le Strand. Deux des théâtres les plus fréquentés, Covent-Garden et Drury-Lane, les marchés de Covent-Garden, de Hungerford et de Smithfield, les principaux lieux de réunion, les bazars, les boutiques, sont à leur portée, et pour ainsi dire sous leur main ; Il y a là un espace de deux à trois mille mètres carrés qui offre la moisson la plus abondante à toute espèce de déprédations.

Saint-Giles a deux sortes d’habitans : une population sédentaire qui se compose de petits marchands, de logeurs, de recéleurs, ainsi que de la classe la plus infime des publicains ou débitans de liqueurs spiritueuses, propriétaires de cafés, entrepreneurs d’amusemens publics, et une population flottante dont les prostituées ainsi que les filous forment le noyau. Celle-ci se propose pour but les jouissances de la vie ; celle-là, le gain. Les voleurs commandent ; le reste rampe et les sert, dans l’espoir d’attirer à soi les profits de leur ignoble industrie. Tout est disposé selon leurs goûts et pour leurs convenances. Il y a des cafés ou ils peuvent, en dépit des règlemens municipaux passer la nuit à jouer, à fumer et à raconter leurs exploits. Ailleurs on leur donne des bals, des concerts et des représentations scéniques, auxquels leurs concubines sont admises. Ceux qui préfèrent, après le succès de la journée, se livrer au repos sont reçus dans des chambres communes à raison de trois à quatre pence, quelques-uns de ces repaires renferment jusqu’à cinquante lits. Ceux qui n’ont pas d’argent et qui n’obtiendraient pas aisément crédit couchent sous les portiques des théâtres, dans les marchés, ou dans les bâtimens en construction. D’autres ont un domicile et tiennent un certain état de maison, vivant en grands spéculateurs jusqu’à ce que la chance, comme ils disent, ait tourné contre eux.

Bien que la police soit aujourd’hui mieux faite à Londres qu’elle ne l’était avant : la réforme opérée en 1829 par sir Robert Peel, et étendue à la Cité en 1839 par lord John Russell, il paraît qu’une sorte d’inviolabilité protége encore les bouges les plus infâmes de Saint-Giles, et que les agens de la force publique craignant le nombre et l’union de leurs adversaires, osent rarement y pénétrer. On cite un groupe de masures que les habitués désignent sous le nom de la petite Irlande, et qui offre un lieu d’asile aussi sûr que l’était l’enceinte du Temple du temps de Jacques Ier.