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temps sans excuse en rendant la charité publique accessible à tous les indigens, quelle inconséquence ! disons mieux, quelle injustice de la part du législateur !

Il n’y a que deux systèmes possibles en cette matière : ou l’état reste indifférent à la misère des individus, et il doit alors s’abstenir de tout contrôle sur la mesure dans laquelle la charité privée s’exerce ainsi que sur les procédés auxquels on a recours pour la solliciter ; ou bien il prétend réprimer comme un délit le seul fait de demander et de recevoir l’aumône, et dans ce cas c’est un devoir pour lui de veiller à ce qu’aucune souffrance ne se manifeste sans être aussitôt soulagée. Les gouvernemens qui se considèrent comme représentant la Providence sur la terre, entreprennent une tâche laborieuse, et dont il leur importe de calculer toutes les obligations. La pauvreté, dans notre état social, est un accident qui tient soit à la force des circonstances, soit à l’imprévoyance des hommes. Quand on veut réparer les malheurs qui proviennent de l’une et l’autre cause, on ne se propose rien moins que de prévoir pour tout le monde, et de gouverner les évènemens.

De la mendicité passons à la prostitution ; les deux plaies se touchent. Le nombre des femmes qui se prostituent à Londres a été l’objet de divers calculs. Au commencement du XIXe siècle, un magistrat de police, Colqu’houn, l’évaluait à 50,000 ; on le trouve estimé à 80,000 dans quelques ouvrages récens. L’auteur d’un rapport officiel, M. Chadwick, réduit ce nombre à 7,000 dans le rayon auquel s’étend l’action de la police métropolitaine, ce qui supposerait, en y joignant celles qui fréquentent la Cité, un total d’environ 10,000 prostituées pour une population qui dépasse un million et demi d’habitans. Il paraît difficile de concilier l’estimation de M. Chadwick avec les documens qu’il produit lui-même. En effet, il compte dans le ressort de la police métropolitaine, et sur les indications fournies par les agens, 3,335 maisons qui reçoivent des femmes de mauvaise vie. En adoptant la proportion de quatre femmes par maison, qu’il propose ailleurs, on trouverait 13,340 prostituées, et à peu près 16,000 en y comprenant la Cité. Dans un ouvrage exempt de passion[1], le docteur Wardlaw en admet 16,675 pour le seul comté de Middlesex.

Il faut avoir parcouru le soir les rues de Londres pour se faire une idée de la multitude vraiment incroyable des femmes et surtout des jeunes filles qui sollicitent les passans. Dans certains quartiers les

  1. Wardlaw’s Lectures on prostitution.