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plus affreux que l’existence de ces pauvres filles. Il faut qu’elles se lèvent dès quatre ou cinq heures du matin, dans toutes les saisons, pour aller recevoir les commandes des mains des marchands ; elles travaillent ensuite jusque vers minuit dans des chambres étroites où elles sont réunies par cinq ou six. Cette vie sédentaire et cette application constante les vieillissent avant l’âge, quand la phtisie les épargne. Doit-on s’étonner si quelques-unes, effrayées ou rebutées en trouvant le chemin de la vertu aussi rude, tendent les bras à la prostitution ?

Les habitudes des prostituées à Londres ont certainement gagné en décence depuis trente ans. Elles sont particulièrement moins brutales, et les passans, pour se délivrer de leurs avances, ont plus rarement à invoquer la vigueur de leurs poings. On voit que l’autorité réprime aujourd’hui des excès qu’elle tolérait autrefois. Avant l’établissement de la nouvelle police, les prostituées avaient le haut du pavé, et rendaient les rues de la métropole impraticables dès la chute du jour. En 1814, deux mille propriétaires de maisons dans la Cité, voulant mettre un terme à cette usurpation de la voie publique, adressaient au lord-maire une pétition curieuse dont le texte se retrouve parmi les documens annexés à l’enquête de 1816.

« Les principales rues de cette Cité, disaient les pétitionnaires, sont chaque soir encombrées de femmes de mauvaise vie, qui, par leurs rixes continuelles et par leur conduite obscène, fatiguent et alarment les honnêtes gens.

« L’audace avec laquelle ces femmes accostent les passans, les horribles imprécations et les paroles obscènes qu’elles ont sans cesse à la bouche, voilà ce que, en notre qualité de pères de famille et de maîtres de maisons, nous considérons comme un intolérable abus. Aucune femme honnête, malgré la protection dont on l’environne, ne peut traverser les rues dans la soirée sans être témoin de ce dégoûtant spectacle, et toute la vigilance dont nous pouvons user ne met pas nos fils ni nos domestiques à l’abri de sollicitations qui viennent les chercher jusqu’à notre porte. En se familiarisant avec la vue de femmes qui mettent toute sorte d’artifices en jeu pour séduire la jeunesse, on sent diminuer le dégoût qu’elles inspirent, et ce relâchement dans la surveillance est suivi des plus fâcheuses conséquences pour la santé, pour la réputation et pour la moralité de la génération qui est notre espoir.

« Les relations intimes que ces femmes dépravées forment d’une part avec les garçons de boutique et avec les apprentis, de l’autre