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SAINT-GILES.

le nombre à 6,407[1], sans y comprendre ceux qui habitent la Cité de Londres. Cette évaluation doit être au-dessous de la réalité. Comment ne pas le supposer, lorsque le même auteur, qui ne compte que 276 garnis destinés aux voleurs dans la ville de Londres, en alloue 1,469 à la ville de Liverpool ? Au surplus, si les filous ne sont pas plus nombreux, le personnel de cette confrérie se renouvelle souvent. Selon M. Chadwick, la carrière d’un malfaiteur, qui se prolongeait en moyenne pendant six années du temps de l’ancienne police, ne dure plus aujourd’hui que deux ans.

Les associations de malfaiteurs avaient, avant l’année 1829, un caractère formidable. Elles pouvaient, dans un moment fixé, envahir Londres et tenir la force publique en échec. Lorsque les truands de la capitale voulaient se donner un passe-temps qui fut aussi un acte d’autorité, ils organisaient une chasse au taureau (bull hunting). Voici quel était le procédé : on prenait l’animal dans un troupeau ; on le battait et on le tourmentait de cent façons jusqu’à ce qu’il écumât de rage ; dans cet état, on le lançait à travers les rues, où il renversait les passans, enfonçait les boutiques et ameutait la foule après lui. Des enfans placés sous la direction d’un chef, le suivaient au pas de course et à grands cris, cherchant à augmenter la confusion ; puis les bandits, survenant en nombre et bien armés, battaient le guet et pillaient sans merci les assistans.

Les grandes traditions se perdent aujourd’hui. Au lieu de chasser le taureau dans les rues de Londres, les habitués de Saint-Giles et de Field-Lane en sont réduits, pour entretenir dans leur cœur les émotions fortes, à faire battre des chiens à huis-clos. À l’avénement de la nouvelle police, les chefs de bande avaient préparé une émeute qui devait éclater sur le passage de Guillaume IV se rendant à Guildhall. Pendant plusieurs heures en effet, les agens de police, rangés en ligne dans le Strand, eurent à essuyer les outrages d’une foule dans laquelle les voleurs dominaient. Ceux-ci, voyant que le vrai public ne se mettait pas de la partie, jugèrent le coup manqué, et ce fut leur dernier acte de vigueur.

En renonçant à livrer des batailles rangées à la société, les malfaiteurs britanniques n’ont pas cessé pour cela d’être dangereux. Non-seulement ils restent les plus accomplis filous de la terre, mais ils ont imaginé de faire des élèves. Ils séduisent les femmes[2], qui les ai-

  1. First Report on constabulary force, p. 12.
  2. « Les voleurs et les prostituées semblent former une grande corporation universelle » (Constabulary Report.)