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manuelles, et mettent fréquemment les jeunes prévenus en liberté après les avoir fait fustiger. Tout barbare qu’il est, ce traitement semble encore préférable au prétendu système d’éducation que l’on emploie dans les prisons. À Newgate, les jeunes prisonniers ont des communications constantes avec les détenus adultes ; à Coldbathfields, ils travaillent dans le même atelier que les hommes et sont soumis, comme eux, au régime abrutissant du tread-mill. La prison-modèle que le gouvernement a établie à Parkhurst, dans l’île de Wight, pour les jeunes détenus, n’est encore qu’un essai informe et ne renferme pas au-delà de deux cent cinquante enfans.

J’ai vu bien des criminels ; j’étudie depuis douze ans la race particulière d’enfans qui alimente les prisons, je l’ai observée en France, en Belgique, en Angleterre et en Écosse ; dans toutes ou presque toutes les grandes villes, j’ai trouvé que cette existence vagabonde portait les mêmes fruits. À quelque différence près dans l’ouverture de l’angle facial, le jeune détenu de Manchester et d’Édimbourg ressemble à celui de Paris ; mais celui de Londres ne ressemble à rien. Il est difficile d’oublier, quand on les a examinées une fois avec attention, ces physionomies pâles, muettes et dures, qui ne trahissent déjà plus aucune émotion de l’ame, et sur lesquelles on peut lire seulement la sombre résolution de persévérer dans le mal. Les geôliers de Newgate gardent précieusement une collection de plâtres qui représentent les bustes des plus fameux criminels. Ces figures ne sont que brutales. Si l’on veut des types inconnus, que ne reproduit-on, en les prenant au hasard, les traits de huit ou dix enfans parmi ceux qui sont renfermés à Newgate ? On aurait figuré les pourvoyeurs du vol, les chacals de cette étrange société.

Nous voici arrivé au terme de cet exposé. Nous avons parcouru Londres, et nous en avons fait l’anatomie. La métropole de la Grande-Bretagne est une belle médaille et bien frappée, sur laquelle on reconnaît sans peine la puissante aristocratie qui domine les mers ; mais au revers de cette richesse et de cette puissance, on lit White-Chapel et Saint-Giles, c’est-à-dire la misère, le vagabondage, la prostitution et le vol. Si l’Angleterre a jamais humilié quelque grande nation, ce peuple n’a qu’à regarder Londres, et il se trouvera trop vengé.


Léon Faucher.