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stratégique, on s’étonne de la trouver à peu près désarmée. Cagliari mérite seule aujourd’hui le nom de place de guerre. Deux autres villes, jadis fortes et respectées, Alghero et Castel-Sardo, ont perdu leur prestige depuis que l’artillerie est devenue le principal moyen d’attaque et de défense. Après avoir joué un grand rôle du xiie au XIVe siècle, d’abord sous le nom de Castel-Genovese, quand elle était au pouvoir des Doria, ses fondateurs, puis sous celui de Castel-Aragonès, qu’elle prit en passant sous la domination des rois d’Aragon, Castel-Sardo reçut son dernier nom en 1769, de la dynastie qui règne encore. Alghero, fondée aussi par les Dorias, au commencement du XIIe siècle, tomba au pouvoir des Aragonais en 1354. Bâtie sur une pointe de roches qui surgit du milieu d’une plage de sable, cette ville a la forme d’un parallélogramme, et est entourée de murs très épais flanqués de bastions et de tours. Ces fortifications sont encore assez bien entretenues, mais, comme celles de Castel-Sardo, elles sont dominées par deux hauteurs voisines.

Outre ces places, fort peu redoutables malgré leur aspect menaçant, il existe sur tout le littoral des tours de défense établies par les vice-rois espagnols, dans le but de protéger l’île contre les descentes des Barbaresques. Ces tours étaient au nombre de quatre-vingt-quatorze. On n’en compte plus que soixante-sept qui soient encore habitables. Elles défendaient autrefois les seuls endroits abordables de la côte, et, communiquant entre elles par des signaux et des feux, avertissaient les populations des villages voisins de l’approche de l’ennemi et de la nécessité de s’enfuir dans les montagnes, à moins qu’on ne fût en force pour le repousser. Si délabrées quelles soient aujourd’hui, elles suffisent à faire observer les réglemens de l’intendance sanitaire et de la douane. Leur personnel ne se compose ordinairement que de trois ou quatre miliciens appelés torrari, et d’un gardien, désigné sous le nom d’alcaïde. Ces édifices, toujours assis comme des nids d’aigles, en des lieux escarpés et agrestes, projettent autour d’eux je ne sais quel reflet romantique qui saisit l’imagination et la transporte dans un autre âge. J’aime à me représenter encore la vieille tour du cap Teulada, et les torrari appuyés sur le parapet ruiné, retirant, à notre approche, l’échelle de corde qui seule peut donner accès à l’intérieur. Leur canon sans affût, et soulevé sur deux pierres, était présenté tout chargé à une des embrasures : le seul fusil de rempart qui fût en état reposait aussi sur sa fourche, prêt à faire feu. Ainsi préparés, ils attendaient de pied ferme les Barbaresques, et bien que l’un d’eux fût boiteux et que l’autre n’eût