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golfe de Palmas, enlevèrent le château de Saint-Antioche, saccagèrent le village, et entraînèrent comme esclaves une partie des habitans.

Il faut oser l’avouer : une destinée fatale, que l’énergie humaine ne parviendra peut-être jamais à conjurer, semble un obstacle à la régénération de la Sardaigne ; c’est l’insalubrité de l’île, déjà proverbiale dès l’époque romaine, malgré les grands développemens qu’avait alors reçus l’agriculture. Si l’on en jugeait par la moyenne de la température, la Sardaigne serait une terre favorisée : cette moyenne est, suivant de nombreuses observations, de seize degrés centigrades dans la ville de Cagliari, un degré de moins que la température moyenne de Naples ; mais les variations atmosphériques qu’on y subit sont fréquentes et perfides. J’ai pris date, par exemple, d’une de ces journées de février qui, délicieusement attiédies par le premier souffle printanier, et se confondant avec les sécheresses de janvier, le secche di gennaro, font de la fin de l’hiver la plus belle saison dans le midi de l’Europe. Le soleil était resplendissant et doux. Le ciel ne formait qu’une vaste coupole d’azur, et le sein de la mer, mollement soulevé, trahissait à peine une émotion secrète. Les plongeons, dans leurs nids grossiers semés sur de petits îlots, couvaient les œufs en toute sécurité ; les amandiers se paraient prématurément de fleurs. Qui ne s’y fût trompé ? Pour moi, je m’y laissais prendre avec la nature entière. Je croyais l’hiver refoulé au-delà de Paris, et je m’applaudissais d’en avoir fini si tôt avec le vent, avec la pluie, avec les gros nuages chargés de toutes les colères du ciel ; mais pendant ce beau rêve, de petits nuages aux formes indécises, aux contours mous et floconneux, s’élevaient de l’horizon, et, se succédant rapidement, allaient s’arrêter et se grouper au sommet des montagnes. À l’ondulation légère de la mer se joignait par intervalles une lame plus creuse et plus brusque que les autres ; puis toutes les pointes, tous les écueils blanchissaient graduellement ; la houle s’animait de plus en plus, et cependant on ne sentait encore aucune brise, si ce n’est une folle bouffée de vent, rapide et fugitive, qui s’éteignait avant qu’on eût pu en reconnaître la direction.

Suffisamment avertis par ces indices, nous abrégeâmes notre course. Notre canot, armé de six avirons maniés par de vigoureux gabiers, était guidé par un excellent pilote. Nous eûmes le temps de gagner le rivage et de nous rendre à Carbonara, pour y recevoir l’ouragan dans notre lit, les portes et les fenêtres bien closes. Vers quatre ou cinq heures du matin, nous fûmes réveillés par le bruit du vent.