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d’un peuple, que la rareté et la difficulté des voies de communication. À cet égard, les Sardes n’avaient rien à envier aux populations les plus arriérées avant les tentatives faites en ces derniers temps. Il y a peu d’années qu’ils étaient entièrement privés de chemins praticables pour des voitures. Ce ne fut qu’en 1822 qu’une route royale de sept mètres de largeur, et de cent vingt-cinq milles de développement, fut ouverte de Cagliari à Sassari. Elle fut dirigée par Oristano, et prolongée jusqu’à Porto-Torrès. La dépense totale se monta à près de 4 millions de francs. Une diligence, établie sur cette route, fait aujourd’hui un service régulier entre les deux chefs-lieux de l’île. Quant à ce qu’on appelle les chemins de traverse, la description qu’on en pourrait faire serait applicable, en général, à n’importe quel pays de sauvages. Les moyens de transport sont d’ailleurs en harmonie avec l’état des lieux. Nous en fîmes la rude expérience dans une excursion à la recherche des haras justement renommés du baron de Teulada. Nous nous étions égarés après mille détours, lorsque nous vîmes arriver un jeune paysan sarde d’une physionomie fine et avenante. Il devina notre embarras, et, après nous avoir parlé une langue dont nous n’entendions pas un mot, il essaya l’éloquence du geste, en nous faisant signe de le suivre jusqu’à une charrette embourbée près de là. Ayant chargé sur cette charrette du bois qu’il devait précisément voiturer à Teulada, il passa dans une prairie voisine et en ramena une paire de taureaux magnifiques, au fanon tombant jusqu’aux pieds, à l’œil plein de feu. Nous le vîmes ensuite fixer par un œillet le bout des rênes à la corne extérieure de ces fougueux animaux, puis saisir les deux oreilles qui se trouvaient près du timon et serrer chacune d’elles d’un demi-tour de la rêne qu’il avait ramenée sur l’avant du joug. Cette compression de l’oreille dompte si bien les malheureux taureaux, que de semblables attelages sont conduits au grand trot ou même au galop à travers les rues des petites villes sans qu’il en résulte aucun accident. On doit seulement éviter d’approcher les bœufs de mauvaise réputation, qui portent aux cornes un brin de paille : c’est encore le fœnum habet in cornu d’Horace.

Le chariot, qui sans doute n’était pas autre chose que le plaustrum vénérable des Romains, n’excita pas moins notre curiosité. C’était une espèce d’échelle, ayant à peu près trois pieds de large dans la partie qui formait le char, mais assez étroite à son extrémité antérieure pour servir de timon. Vers le milieu de cette échelle horizontale se trouvaient pratiqués deux encastremens semi-circulaires,