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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

tations de frivolité. Ce n’est pas là précisément l’esprit qu’il convenait de nous emprunter. Faut-il que nous rencontrions au-delà du Rhin ce que nous combattons tous les jours ici ? Nous ne cessons de réclamer contre cette infatuation qui est devenue une des plus sérieuses maladies de notre époque, contre cet incurable orgueil des écrivains qu’un certain succès a enivrés ; eh bien ! je n’aime pas que M. Heine écrive sans rire : « Mes travaux sont des monumens que j’ai implantés dans la littérature de l’Europe, à l’éternelle gloire de l’esprit germanique ! » Il y a, pour un esprit si fin, une grande imprudence dans ces paroles. L’Allemagne en effet, a-t-elle souscrit à ces éloges ? Il s’en faut bien. Tandis que M. Heine travaillait à nous faire connaître sa patrie, elle se plaignait d’avoir été blessée par lui, comme dit Montesquieu, aux endroits les plus tendres. Sans regarder ces plaintes comme tout-à-fait légitimes, sans accuser M. Heine des troubles de l’esprit littéraire au-delà du Rhin, on peut lui reprocher de n’avoir pas fait tout le bien qu’il aurait pu ; ce sont ceux qui se disaient ses disciples ou ses amis qui ont porté le désordre dans la littérature. L’Allemagne avait beau protester contre les influences funestes de cette frivolité d’emprunt, elle les subissait à son insu ; les choses sérieuses étaient peu à peu décréditées ; le goût calme et désintéressé de l’étude disparaissait, et la poésie, qui s’inspirait autrefois des grandes idées, la poésie, qui demandait des enseignemens à la pensée immortelle, transplantée loin de ce terrain fécond, se flétrit de jour en jour. Les écrivains même qui voulaient faire renaître cette fleur languissante y employaient vainement leurs honnêtes efforts. Certes, parmi les poètes qui sont venus après M. Henri Heine, tous n’ont pas chanté le doute, mais je ne sais quel esprit frivole les sépare désormais des traditions du dernier siècle ; ils sont poussés chaque jour vers une poésie extérieure, vers un art matériel, et il faudra bien du temps pour qu’ils puissent retrouver, sous tant de ronces et d’épines, le chemin de leur paradis perdu.

Pendant que la fantaisie moqueuse de M. Heine avait tant de peine à se faire accepter de l’Allemagne, et que la poésie semblait s’éteindre, on entendit tout à coup vanter deux jeunes poètes qui promettaient, dit-on, de devenir des maîtres. C’étaient M. Nicolas Lenau et M. Ferdinand Freiligrath. Depuis que Uhland se taisait, depuis que Rückert ne faisait plus que redire trop long-temps son chant monotone sans vouloir le renouveler, on s’était bien éloigné de cette poésie sérieuse qui d’abord avait été saluée avec tant d’amour par l’Allemagne, et M. Heine, je l’ai dit, représentait parfaitement