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pleine d’aspirations vers Dieu ? — Ainsi je pensais, courbé sur l’abîme, l’ame durement oppressée, et plus près de la mort que je n’avais jamais pu l’être. Tout à coup j’entendis le frémissement des feuilles sèches et le bruit des pas de mon cheval ; il s’avançait vers moi comme pour m’avertir que la nuit était venue, et qu’il fallait reprendre notre route. Mais je lui criai : — Est-ce bien aussi la peine, ô mon cheval, que je remonte sur toi ? Il me regarda et son regard, où il y avait le calme bonheur de l’existence, me pénétrant et me réchauffant le cœur, y porta le repos avec une puissance magique. »

Plus loin encore, on aime ce Mythe de la tempête, comme il l’appelle, ces vents qui accourent du fond de l’horizon, et, voyant la mer calme, s’imaginent qu’elle est morte. « Es-tu morte, ô mère, ô vieille aïeule ? » Alors ils se penchent sur elle et pleurent de douleur. Non, elle vit, elle se réveille, elle s’élance hors de son lit, la mère et les enfans s’embrassent et se chantent leur amour dans le chœur de la tempête. Il y a assurément une certaine grandeur bizarre dans ces images ; la tristesse qui est empreinte à chaque page du livre n’est pas toujours monotone. Cette tristesse était une nouveauté pour l’Allemagne, et n’a pas médiocrement contribué au succès du poète. Je disais tout à l’heure que la poésie sombre et souffrante, provoquée en France et en Angleterre par les secousses morales du monde moderne, n’avait pas été représentée en Allemagne, et que les troubles de la pensée religieuse n’y avaient produit que la spirituelle raillerie de M. Heine ; c’est peut-être pour l’opposer à un railleur si cruel qu’on a placé très haut ce poète quelquefois triste et grave, et qui prenait au sérieux toutes les douleurs dont l’autre s’amusait follement. Je m’assure toutefois qu’il y avait bien plus de sincérité dans le doute ironique de M. Heine que dans la molle et banale tristesse de M. Lenau. Quoiqu’il ait foulé la terre de René, dont le souvenir le préoccupe évidemment, combien il y a loin de cette mélancolie vulgaire à la vivante douleur du frère d’Amélie ! C’est là décidément le défaut de M. Nicolas Lenau, une poésie superficielle, et qui, affectant certaines formes déjà consacrées par les maîtres, ne produit guère qu’un contraste fâcheux entre l’ambition du cadre et l’insuffisance de l’œuvre. Quand M. Lenau imite Uhland, il n’a pas cette profondeur émue, cette sérénité naturelle, cette franchise de cœur qui est le signe distinctif de cette école ; quand il chante la mélancolie, il ne la justifie point par l’étude des souffrances morales ; quand il a erré enfin, comme René, sur les terres lointaines de l’Amérique, il ne rapporte du Nouveau-Monde que des couleurs pour ses paysages.