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FERNAND.

ques pas d’Alice, qui s’entretenait avec sa cousine, tandis que M. de B… et le reste de la société, groupés çà et là, agitaient les affaires du jour dans une discussion générale.

Fernand se leva, fit quelques pas vers son serviteur. Celui-ci lui remit une lettre et se retira en silence. Le jeune homme examina la suscription : à la hâte et fraîchement tracés, les caractères étaient à peine lisibles ; l’encre en était encore humide. Pliée précipitamment, la lettre n’avait pas de cachet. Toutefois, soit discrétion, soit qu’il sût à quoi s’en tenir, M. de Peveney ne l’ouvrit point ; mais, la froissant entre ses doigts, il alla reprendre sa place.

À peine fut-il assis, les conversations cessèrent brusquement, et tous les regards se tournèrent vers lui avec inquiétude. Il était si pâle et si défait, qu’on pensa qu’il s’allait trouver mal. Il essaya de sourire ; ses lèvres s’y refusèrent. Il voulut parler ; on eût dit, à l’étranglement de sa voix, qu’une main de fer lui serrait la gorge. Pendant ce temps, un œil observateur aurait pu lire sur le visage de Mlle de Mondeberre ce qui se passait sur celui de Fernand. Enfin, par un violent effort, M. de Peveney parvint à dompter le trouble de son ame et à ressaisir ses esprits égarés. Tout fut expliqué par une indisposition subite et passagère, et il n’y eut qu’Alice et sa mère qui ne se contentèrent point de la banalité de la formule. Toutes deux observaient Fernand, l’une à la dérobée, l’autre avec une anxiété maternelle. Cependant, les entretiens s’étant renoués, M. de Peveney profita d’un instant où la discussion, redevenue générale, absorbait toutes les attentions, pour s’esquiver sans être remarqué. Il courut aux écuries du château, brida lui-même son cheval ; mais, comme il s’apprêtait à mettre le pied à l’étrier, il aperçut, venant à lui, Mme de Mondeberre, dont il n’avait pu réussir à tromper la sollicitude.

— Vous partez, vous souffrez ; qu’avez-vous ? lui dit-elle en l’entraînant doucement sous les tilleuls qui ombrageaient la cour. Mon enfant, qu’il soit permis à ma tendresse de vous donner ce nom, ajouta-t-elle en lui prenant les mains avec effusion ; confiez-moi le mal de votre ame. Ce n’est pas moi qu’on trompe et qu’on abuse. Depuis quelques jours, vous n’êtes plus le même. Versez vos peines dans le sein de votre vieille amie, car je suis votre vieille amie, Fernand. Votre père m’aimait et j’aimais votre père. Vous ne savez pas, je ne vous ai pas dit que, peu de temps avant sa mort et pressentant sa fin prochaine, il me confia le soin de votre destinée. Vous ne savez pas quels doux rêves nous avons échangés, mêlés et confondus durant les derniers jours qu’il passa sur la terre. Craignant