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REVUE. — CHRONIQUE.

pices et non-seulement la liberté et l’ordre se trouveraient compromis en Grèce, mais l’existence même, la nationalité du pays.

Ce sont là les espérances mal déguisées des ennemis de ce nouvel état comme de toute liberté. Ils attendent avec une cruelle impatience le moment où ils pourront proclamer que la Grèce a forfait à la paix de l’Europe, et qu’elle ne mérite pas de voir son nom figurer sur la liste des nations. État factice, disent-ils, création éphémère d’une philantropie rêveuse, faudra-t-il tout compliquer, tout risquer, et peut-être aussi tout ébranler en Occident et en Orient, pour seconder les fantaisies de quelques milliers d’hommes vaniteux et turbulens ?

D’un autre côté, les amis de la Grèce, ses amis les plus sincères et les plus dévoués, ne sont pas sans quelque crainte. Les exemples d’une révolution sachant se contenir et se consolider sont si rares ! Et les Grecs, ajoutent-ils, sont si vifs, si inexpérimentés, si mobiles ! Et leurs ennemis, ouverts ou cachés, si nombreux, si actifs, si puissans ! Il faudrait que les Grecs sussent résister à la fougue de leurs passions et aux perfides instigations d’un faux zèle et d’une feinte amitié ! Résister à la fois aux entraînemens de leur vive imagination et aux impulsions du dehors ! Dompter leur caractère et déjouer les intrigues ! La besogne est rude, la tâche compliquée ; comment ne pas craindre quelque faute irréparable, quelque déplorable égarement ?

Il ne serait pas d’hommes sérieux de considérer ces craintes comme absolument chimériques : elles ne sont pas sans quelque fondement. Toutefois l’espérance l’emporte dans notre esprit, et nous aimons à penser que nous ne sommes pas sous les illusions d’une affection sincère pour la Grèce régénérée. Nous ne désespérons certes pas de l’Espagne ; mais tout en reconnaissant que les Grecs ne sont entrés que d’hier dans l’arène si périlleuse de la politique moderne, et qu’ils n’en ont pas retiré tous les enseignemens qui sont déjà acquis aux Espagnols, nos espérances sont également vives à l’endroit de la Grèce. Les Grecs possèdent à un degré éminent les deux qualités nécessaires à une bonne conduite dans les momens critiques et difficiles, l’activité et la sagacité. Ils démêlent à merveille les périls dont ils sont entourés, et leur enthousiasme est loin d’être aveugle et chimérique. Ils ont, avec l’ardeur des hommes du midi, le calme impassible du génie oriental. La politique du Phanar, cette politique si habile, si déliée, est rentrée dans ses foyers, au service de son pays. Nous croyons que, dans les temps de crise, en présence du danger, on peut compter sur la prudence et l’habileté des Grecs. Peut-être n’inspirent-ils pas la même confiance pour les temps calmes et ordinaires. C’est alors que leur esprit inquiet et mobile peut se donner libre carrière ; c’est alors qu’on pourrait peut-être redouter le goût désordonné des innovations et un certain penchant pour les rêveries politiques ; c’est alors aussi que la corruption et l’intrigue pourraient retrouver les chemins que leur avait jadis frayés l’or de Philippe de Macédoine.

Quoi qu’il en soit, nos espérances dans ce moment sont fortifiées par deux circonstances particulières et d’un grand poids à nos yeux.