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vous êtes joués de cet homme qui vous aimait tous deux et vous respectait à ce point qu’il eût craint de vous outrager par l’ombre d’un soupçon jaloux ! Quoi ! vous, jeune homme, qui me serriez la main et que j’appelais mon ami ! Quoi ! vous, vous, Arabelle !… Ce qu’il est révoltant d’entendre, mais ce qu’il faut pourtant oser dire, c’est que, pour mieux me tromper sans doute, vous nous avez trompés tous deux. Si, comme je le veux croire pour l’honneur de monsieur, vos complaisances n’étaient qu’un artifice de plus, je dois convenir, madame, que vous jouez bien certaines comédies.

— Assez, monsieur, assez ! s’écria M. de Peveney en se levant ; vous oubliez que vous êtes chez moi et que vous outragez une femme.

— Je comprends, répliqua M. de Rouèvres toujours avec le même sang-froid, que vous rougissiez à ces mots, vous de honte, et vous de colère ; moi-même, je sens mon cœur soulevé de dégoût. Vous me rappelez que je suis chez vous, monsieur de Peveney ; permettez-moi de vous faire observer qu’à quelque point que je m’oublie, je n’userai jamais sous votre toit d’autant de liberté que vous en avez pris sous le mien. Je n’outrage personne, monsieur. Si les amans de nos femmes ne sont parfois que nos partenaires, est-ce à moi qu’il vous en faut plaindre ? Si la plaie que je mets à nu est tellement hideuse, que ceux-là même qui l’ont ouverte s’en détournent avec horreur, est-ce moi qu’on en doit accuser ? Je reviens à vous, Arabelle ; je n’ai plus qu’un mot à vous dire, et, ce mot dit, je vous aurai parlé pour la dernière fois. Puisque vous avez fui lâchement comme un criminel, vous n’êtes encore à cette heure qu’une esclave échappée attendant l’arrêt de son maître. — Ce maître vous affranchit. — Il en est un autre au-dessus de tous ; puisse celui-là vous absoudre !

Là-dessus, M. de Rouèvres se leva, et s’adressant à Fernand :

— Maintenant, monsieur, à nous deux.

— Allons donc ! monsieur ; allons donc ! s’écria avec l’emportement du désespoir M. de Peveney, qui ne voyait d’ailleurs que la mort qui pût le tirer de là ; finissons-en, c’est perdre trop de temps en paroles. J’ai des armes… ici, à deux pas, sans témoins.

— Monsieur, répliqua M. de Rouèvres avec calme, vous vous méprenez entièrement sur mes intentions. Je n’ai que faire de vos armes, ne voulant tuer ni être tué. Vous m’avez parlé tout à l’heure de laver mon honneur dans votre sang ; mon honneur n’est point entaché, et je souhaite que le vôtre sorte de tout ceci aussi pur que le mien. D’ailleurs, monsieur, vous n’y songez pas ; vous oubliez que vous ne sauriez désormais sans crime disposer d’une vie qui, à