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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

du royaume et le rôle de la France en Europe allait devenir désormais l’objet principal de ses préoccupations. Nous apprécierons dans leur ensemble les idées du cardinal sur la constitution d’un nouveau droit public et d’un nouvel équilibre européen rendus nécessaires par l’anarchie qui menaçait alors le monde. Bornons-nous aujourd’hui à observer Richelieu dans le cours de la lutte nouvelle qu’il va engager contre des influences redoutables ; voyons-le triomphant de la cour après avoir triomphé des réformés.

On l’a déjà constaté dans la première partie de ce travail, il est injuste d’imputer à Richelieu le crime d’avoir systématiquement brisé l’aristocratie française, et changé, en la renversant, les bases de l’organisation de sa patrie. Plût à Dieu qu’une telle organisation eût existé, et que la France se fût trouvée à cette époque politiquement constituée ! Si des pouvoirs reconnus et rivaux s’étaient rencontrés en face de la royauté pour partager avec elle l’administration publique, moins qu’un autre peut-être le hautain cardinal eût prêté la main à l’œuvre de nivellement que d’impérieuses circonstances lui imposèrent. Placez-le en Angleterre, couvrez ses épaules de gentilhomme et d’évêque du manteau de pair du royaume-uni, et ses instincts le porteront assurément à chercher un autre rôle. Mais il fallait sauver la nationalité française et défendre l’ordre public contre les menées de conspirateurs aux gages de l’étranger. De quel pouvoir politique jouissait d’ailleurs la noblesse française ? quels droits réclamaient ses membres, de quelles prérogatives constitutionnelles entreprenaient-ils la conquête ? Les entendit-on demander d’une manière sérieuse les états-généraux, le vote des subsides, l’organisation régulière d’un parlement, la représentation du royaume ou des provinces ? réclamaient-ils quelque chose d’analogue à un bill des droits ? affichèrent-ils jamais la prétention de jouer dans l’état le rôle d’un grand pouvoir appuyé sur un grand intérêt ? De grosses positions pour les princes, des faveurs personnelles pour leurs agens, tels furent, sous le ministère de Richelieu comme sous celui du maréchal d’Ancre, les amorces de tous les complots, les seuls mobiles des mouvemens politiques. Le prince de Condé, chef du parti féodal opposé à la reine-mère, représentait même à un degré beaucoup plus élevé que le duc d’Orléans l’ensemble de ces intérêts seigneuriaux qui auraient pu, en la légitimant, constituer une grande opposition territoriale. À partir de la lutte armée de 1614, il semble que les idées politiques s’effacent de plus en plus, et qu’en devenant plus