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DES FEMMES MORALISTES.

généreux efforts, se développent de belles intelligences et de nobles cœurs. Depuis quand le travail, pour avoir toute sa valeur, a-t-il besoin d’être applaudi ? Il semble, au contraire, qu’il doit doubler de prix lorsqu’il est obscur. Ce n’est pas que le foyer domestique, à notre sens, doive se transformer en une prison où les femmes, quelles que soient leurs aptitudes, doivent rester éternellement confinées. Qu’elles en sortent toutes les fois que par leurs talens elles seront réellement au-dessus de ce rôle de la famille, et qu’elles pourront faire briller aux yeux de tous une vraie lumière qui ne devait pas rester enfouie sous le boisseau, au profit de quelques-uns. Le conseil serait sans réticence, si, dans ces divers talens qui peuvent échoir aux femmes, il n’en était de périlleux, et qu’on ne souhaiterait pas à une personne aimée. Ne donnerait-on pas de préférence à une mère, à une épouse, à une sœur, le talent qui peut le mieux s’exercer de la part de la femme sans usurpation sur le rôle de l’homme, qui ne lui impose pas d’étranges habitudes, et ne l’arrache pas violemment du cercle des simples vertus ? Ce talent, n’est-ce pas celui de l’écrivain moraliste, soit qu’il s’exerce dans le récit où les femmes excellent, dans ces fines analyses des sentimens où elles se jouent avec tant d’aisance et de supériorité, soit qu’il produise des ouvrages de pure morale ? Pour écrire ainsi, la femme n’a pas à son front cette auréole qui en fait un être exceptionnel, ce qui a toujours ses inconvéniens ; ce diadème de feu qui la désigne aux regards de tous, et l’isole pourtant : la palme qu’elle obtient n’est qu’un ornement, une parure de plus. On ne suppose pas que rien soit changé dans son existence ; ce qu’elle écrit dans ses livres, elle pourrait le dire dans son salon ; elle a voulu seulement parler pour un grand nombre ; elle a étendu sa conversation et agrandi son auditoire ; elle est devenue auteur, sans cesser d’être femme du monde et mère de famille. Qu’on n’aille pas croire après cela que le roman et la morale proprement dite soient sans écueils pour les femmes : qu’elles oublient la mesure, et pendant que l’une s’essaiera follement au rôle de Sapho, l’autre tombera au rang d’une maîtresse d’école.

Dans les siècles précédens, ce n’est que par voie indirecte, nous l’avons déjà dit, que les femmes ont été moralistes ; elles l’ont été dans leurs romans, dans leurs lettres, dans leurs mémoires, et par un bon nombre de ces ouvrages, en dehors du genre, mais qui s’en rapprochent pourtant, elles ont montré qu’elles étaient capables d’approfondir la vie, et d’en parler savamment et à leur aise. En remon-