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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

les produits des provinces voisines, ceux que les chariots du Tandjore leur déversent en suivant la route de terre. On les voit se ranger humblement vis-à-vis la promenade, un peu au-dessous du quai, abandonnant la place d’honneur aux navires européens mouillés en tête de la rade ; mais, avant les pluies de juillet, tous ont disparu : ils sont allés se cacher dans les ruisseaux, sur les bords des petites rivières ; tant que soufflent les brises impétueuses, la lourde barque, longue de soixante-dix pieds, repose paisiblement sous les arbres. Le ressac, qui bat continuellement le littoral du pays de Coromandel, a dû être un grand obstacle aux progrès que les naturels pouvaient faire dans la navigation. Franchir cette barre avec des canots, avec des pirogues même, étant chose impossible, les pêcheurs et les mariniers de la côte se sont trouvés réduits à construire toujours sur le même modèle le catimaron et la schellinge. Le catimaron n’est qu’un simple radeau formé de trois ou quatre madriers joints ensemble, un peu relevé aux extrémités, sur lequel un ou deux hommes au plus, à genoux ou accroupis, pour pouvoir ramer avec plus d’aisance, agitent à droite et à gauche une courte pagaïe[1]. Quand la mer déferle avec fureur sur les sables, le macoua, ou marinier, baissant la tête, se précipite à travers la vague, fend l’écume et la crête de ce rempart menaçant, rejoint son radeau à la nage, s’il est renversé, et se fraie hardiment une route vers le grand navire auquel on l’envoie porter un message à la distance de plusieurs milles. Durant les guerres, ces catimarons ont rendu plus d’un service important : un pêcheur digne de confiance liait à ses poutres la somme d’argent ou cachait dans un nœud de bambou la dépêche qu’il s’agissait de faire parvenir à un point surveillé par l’ennemi. Grace à la couleur de l’homme et à celle du radeau, rien ne trahissait dans les ténèbres la marche du mystérieux courrier, qui, s’il était serré de près, avait encore la ressource de plonger et de fuir dans les bois. Madras et Pondichéry n’ont guère d’autres bateaux de pêche ; dans cette dernière ville, où l’on voit peu de caboteurs, le catimaron se pavoise aux grands jours. Ainsi, lorsqu’un gouverneur nouveau débarque dans la capitale des établissemens soumis à son autorité, une nuée de radeaux, parés des couleurs de la France, s’empresse de l’escorter jusqu’à terre. Pauvre France qui n’a dans l’Inde que de pareilles flottes ! Quant aux schellingues, destinées à

  1. On voit aussi dans la mer Rouge quelques-uns de ces radeaux dont peut-être les Arabes ont apporté l’idée des côtes de l’Inde.