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DES FEMMES MORALISTES.

Ici encore, comme dans le XVIIe siècle, il faut, pour trouver ce que l’on cherche, glaner un peu partout, à travers champs. À part Mme du Châtelet, qui a écrit un véritable traité sur le bonheur, c’est dans leurs romans, leurs correspondances et leurs mémoires, comme nous disions, qu’il faut surprendre l’écrivain moraliste. Heureusement, on ne tombe pas à faux, en s’adressant à Mlle de Launay, Mlle de l’Espinasse, voire Mme de Tencin, en allant jusqu’à Mme de Charrière et Mme de Souza. — Ah ! quel livre de morale on ferait, si on voulait recueillir toutes les observations dont les femmes, armées d’une pénétrante finesse, ont semé leurs ouvrages, et si on pouvait les retrouver et les faire revivre, ces traits éloquens et fins, dus au génie de la conversation ! En adoucissant, par le bon sens exquis du choix, la sévérité un peu froide du XVIIe siècle, et en épurant l’épicuréisme trop facile du XVIIIe, quel chef-d’œuvre on composerait ! quel livre aimable et profond ! quel vrai trésor ! De l’étude de ces divers morceaux, il ressortirait, n’omettons pas de le dire, que jusqu’à notre époque les femmes, quand elles ont touché à la morale, ont été des moralistes observateurs, tandis que de notre temps elles se rangent surtout dans la classe des moralistes qui enseignent. Cette différence n’est pas insignifiante et de pur hasard ; cela prouve qu’avant la révolution les femmes étaient simples spectatrices, tandis que de nos jours elles se mêlent à l’action ; elles se contentaient autrefois de causer le plus spirituellement possible dans le coupé de la diligence, qu’elles veulent conduire aujourd’hui.

Les femmes, avant notre époque, ont donc été moralistes en général sans qu’aucune d’elles puisse revendiquer ce titre en particulier ; c’est un héritage commun, une propriété indivise. Cela établi, voyons si les femmes qui, plus près de nous, ont brigué ouvertement ce titre pour leur compte, l’ont mérité sérieusement. Est-ce Mme de Genlis qui mérite ce titre de moraliste ? Si les gros bataillons de livres avaient le même privilége que les gros bataillons de soldats, du côté desquels la victoire aime se placer, peu d’écrivains l’emporteraient sur Mme de Genlis : elle pourrait se mesurer avec Voltaire sans trop de désavantage. Mais cela n’arrive pas ainsi, et c’est merveille de voir comme un auteur survit avec un petit volume, et comme mille autres sont à jamais ensevelis sous la haute montagne de leurs ouvrages. Le nombre des écrits de Mme de Genlis est immense. Pour les feuilleter seulement, il faudrait un temps et une patience que nous n’avons pas. Disons vite que l’oubli qui enveloppe déjà toutes ces productions décolorées et sans saveur n’est que le juste