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LA SARDAIGNE.

la mer qui baigne les rivages de la Sardaigne et presse ses flancs de toutes parts peut devenir pour elle une ceinture d’or. Le commerce maritime se porte toujours de préférence vers les lieux où, libre de choisir son moment et d’éviter les risques si fréquens des spéculations inopporturnes, il se trouve dégagé d’une partie de ses chances aléatoires. Qu’un port franc soit ouvert en Sardaigne ; que Cagliari ou Saint-Pierre puisse faire concurrence à Malte ou à Livourne, et à l’instant une terre négligée et languissante redevient une des échelles inévitables du commerce méditerranéen. Loin de se refuser à ouvrir un port franc sur un des points de l’île, le gouvernement sarde devrait plutôt livrer l’île toute entière au libre commerce qui la sollicite. Le jour où il aurait réalisé cette grande pensée, où Cagliari, Palmas et Saint-Pierre, Oristano et Porto-Conte, Terra-Nova et les baies de la Madelaine, pourraient écouler vers l’Europe, comme d’un vaste entrepôt, les produits du monde oriental ; le jour où l’Allemagne et l’Angleterre, la France et l’Espagne, seraient admises à y réaliser leurs échanges, à y déposer le trop plein de leur industrie, la Sardaigne verrait se presser incessamment dans ses ports de nombreuses flottilles, attirées par les facilités d’un commerce sans entraves. L’affluence du capital, vivifiant tous les genres d’exploitations rurales, contribuerait à l’assainissement du pays. Peut-être même qu’une innovation aussi féconde fournirait naturellement la solution du problème que le cabinet de Turin a vainement cherchée. Je ne puis croire que les chances imprévues d’un immense développement d’affaires ne permettent pas de concilier la prospérité de l’île avec les exigences du fisc et les intérêts jaloux des provinces continentales.

Les vœux que je forme sont un témoignage de la secrète sympathie qu’a laissée en moi la Sardaigne. Pour m’expliquer à moi-même l’intérêt que je prends aux destinées d’un pays où je n’ai fait que passer, et que je ne reverrai peut-être jamais, j’aime à me rappeler que j’y ai rencontré presque partout des visages bienveillans, des cœurs sincères et chaleureux.


E. Jurien-Lagravière.