Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
DES FEMMES MORALISTES.

voulu s’occuper de religion et de morale. Croyez aux éloges épistolaires ! Vers 1787, Mme de Genlis recevait les lignes suivantes : « Prédicateur aussi persuasif qu’éloquent, lorsque vous présentez la religion et toutes les vertus avec le style de Fénelon et la majesté des livres inspirés par Dieu même, vous êtes un ange de lumière. » C’est Buffon qui, ayant mis ses plus belles manchettes, lui écrivait cela. Eh bien ! non ; malgré Buffon, Mme de Genlis, quand elle présente la religion et la morale, n’est pas un ange de lumière ; elle ne mérite pas même le nom de moraliste. Au vrai, c’est une gouvernante qui a deux titres pour sa mémoire, un joli livre qu’elle a fait, et un illustre élève qui s’est fait lui-même.

Mme Campan a-t-elle plus de droit au titre que nous refusons à Mme de Genlis ? Si l’intention en littérature était réputée pour le fait, oui sans doute ; mais la bonne intention et le talent ne doivent jamais se séparer et ne peuvent bien faire qu’en se prêtant un mutuel appui. C’est l’histoire du paralytique et de l’aveugle. Quand la bonne intention ne l’éclaire pas, le talent fait fausse route ; et sans le talent, la bonne intention, paralytique, ne peut avancer d’un pas. — Dans le livre sur l’Éducation des Femmes, qui est la production principale de Mme Campan, on a beau chercher la profondeur des vues, l’éclat ou le charme du style, on ne trouve que des pensées connues et un style effacé. On cherche une moraliste, et l’on ne trouve qu’une institutrice. Il reste un mot de Mme Campan : « Créer des mères, a-t-elle dit, voilà toute l’éducation des femmes. » Aux époques même les plus faciles pour la renommée, un mot n’est pas un titre suffisant pour la gloire littéraire. Mme Campan est encore inférieure à Mme de Genlis, et ni l’une ni l’autre n’ont eu en partage le vrai talent de l’écrivain, et du penseur. — Le pavillon de Belle-Chasse et Écouen étaient vraiment trop loin de Coppet.

Parmi les ouvrages de morale dus à des plumes de femmes, il n’y a de réellement sérieux et de durable que ceux de Mme Guizot, de Mme de Rémusat et de Mme Necker de Saussure. C’est Mme Guizot qui a fondé, si l’on peut s’exprimer ainsi, la dynastie des femmes moralistes. Son portrait et celui de Mme de Rémusat ont été dans ce recueil tracés trop finement dans toutes leurs nuances pour qu’il soit permis d’y revenir. Si le portrait de Mme de Saussure n’est pas fait encore, il vaut la peine d’être tracé à part, et il le sera sans doute par cet ingénieux critique qui, sous l’esprit de l’auteur, sait si bien trouver l’ame de l’homme.

Puisque le talent des trois écrivains est hors de cause, contentons-