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si ce malheureux pays, qui fut le plus beau des royaumes, ne deviendra pas une pauvre province ? Cependant tout est loin d’être perdu. La révolution d’Athènes a eu un immense retentissement dans la Turquie d’Europe, dans l’Archipel et dans l’Asie mineure ; de tous côtés les Grecs asservis tendent les bras à leurs frères délivrés. Sans doute on a beaucoup à craindre, mais on a tout à attendre d’une nation qui jamais n’a désespéré d’elle-même.



J’étais depuis quinze jours à Athènes, et je n’avais encore vu le roi que de loin, à la promenade du dimanche. Ce jour-là, au coucher du soleil, la musique d’un régiment se rassemble au milieu d’une plaine un peu en dehors de la ville, et donne en plein air une sérénade à la population. Cette fête hebdomadaire attire une foule nombreuse et assez curieuse à observer. Bien que le costume européen y domine, les fez rouges se mêlent en assez grand nombre aux chapeaux de castor, et, au milieu des sombres habits des dandies, on voit briller çà et là les paillettes de la veste d’un pallicare : des officiers caracolent sur de jolis chevaux de Syrie. Malgré leur petite casquette et leur longue redingote bleue à collet rouge, à poitrine rembourrée, selon l’ordonnance de Munich, ces jeunes militaires n’ont en aucune façon la tournure germanique. Rien qu’à voir ce beau lieutenant qui passe fièrement, portant haut la tête, retroussant cavalièrement sa moustache et posant volontiers devant le spectateur, on reconnaît l’élégant Athénien sous la livrée bavaroise. Les dames arrivent en calèches découvertes, et font grand étalage de chapeaux à plumes, de robes éblouissantes. Vers le milieu de la soirée, la voiture royale est invariablement signalée, et l’on voit arriver une sorte de phaëton, attelé de deux chevaux allemands, harnachés à l’anglaise, que le roi conduit lui-même. Le prince est vêtu à la grecque ; la reine, habillée à la française, est assise auprès de lui. De loin, je n’avais pu me faire qu’une idée très vague de la physionomie du roi Othon et de la beauté de la reine Amélie ; mais bientôt l’occasion me fut offerte de contempler tout à mon aise leurs majestés helléniques. L’escadre française mouillée dans le Pirée devait, sous peu de jours, appareiller pour Smyrne, lorsque la reine manifesta à l’amiral le désir de visiter son vaisseau. M. de Lasusse offrit de donner un bal à son bord, et sa proposition fut acceptée.

Par une magnifique soirée de juin, tous les navires du Pirée étaient couverts de leurs pavillons. Les embarcations de l’escadre, conduites par des rameurs vêtus de blanc, commandées par les élèves, atten-