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LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

comme elle n’a jamais été traduite en français, nous en donnerons ici quelques fragmens. Elle prouve que Jordano Bruno a été mis à mort, non comme protestant, mais comme impie, non pour tel ou tel acte de sa vie, sa fuite de son couvent ou l’abjuration de la foi catholique, mais pour la doctrine philosophique qu’il répandait par ses ouvrages et par ses discours.

« Gaspard Schoppe à son ami Conrad Rittershausen[1]

« ..... Ce jour me fournit un nouveau motif de vous écrire : Jordano Bruno, pour cause d’hérésie, vient d’être brûlé vif en public, dans le Champ-de-Flore, devant le théâtre de Pompée… Si vous étiez à Rome en ce moment, la plupart des Italiens vous diraient qu’on a brûlé un luthérien, et cela vous confirmerait sans doute dans l’idée que vous vous êtes formée de notre cruauté. Mais, il faut bien que vous le sachiez, mon cher Rittershausen, nos Italiens n’ont pas appris à distinguer entre les hérétiques de toutes les nuances ; quiconque est hérétique, ils l’appellent luthérien, et je prie Dieu de les maintenir en cette simplicité qu’ils ignorent toujours en quoi une hérésie diffère des autres. ............................ J’aurais peut-être cru moi-même, d’après le bruit général, que ce Bruno était brûlé pour cause de luthéranisme, si je n’avais été présent à la séance de l’inquisition où sa sentence fut prononcée, et si je n’avais ainsi appris de quelle hérésie il était coupable… (Suit un récit de la vie et des voyages de Bruno et des doctrines qu’il enseignait.)… Il serait impossible de faire une revue complète de toutes les monstruosités qu’il a avancées, soit dans ses livres, soit dans ses discours. Pour tout dire, en un mot, il n’est pas une erreur des philosophes païens et de nos hérétiques anciens ou modernes qu’il n’ait soutenue… À Venise enfin, il tomba entre les mains de l’inquisition ; après y être demeuré assez long-temps, il fut envoyé à Rome, interrogé à plusieurs reprises par le saint-office, et convaincu par les premiers théologiens. On lui donna d’abord quarante jours pour réfléchir ; il promit d’abjurer, puis il recommença à défendre ses folies, puis il demanda encore un autre délai de quarante jours ; enfin il ne cherchait qu’à se jouer du pape et de l’inquisition. En conséquence, environ deux ans après son arrestation, le 9 février dernier, dans le palais du grand inquisiteur, en présence des très illustres cardinaux du saint-office (qui sont les premiers par l’âge, par la pratique des affaires et la connaissance du droit et de la théologie), en présence des théologiens consultans et du magistrat séculier, le gouverneur de la ville, Bruno fut introduit dans la salle de l’inquisition, et là il entendit à genoux la lecture de la sentence prononcée contre lui. On y racontait sa vie, ses études, ses opinions ; le zèle que les inquisiteurs avaient

  1. En latin Scioppius et Rittershusius.