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DES FEMMES MORALISTES.

Voilà pour les jeunes gens. Quant aux jeunes filles, l’auteur veut qu’elles soient élevées en vue du mariage, et, avec cette audace qui la distingue, elle déclare qu’il faut leur parler souvent, presque à toute heure, de ce qui est le but de leur existence, et qu’il est absurde qu’il n’en soit pas ainsi. Si Mme de Gasparin ne s’apercevait bientôt qu’elle marche sur un terrain brûlant, sa dévotion aboutirait à un singulier résultat. Heureusement elle s’effraie à temps des conséquences extrêmes de son principe, et, rétrogradant peu à peu, elle reprend ce qu’elle vient de dire. Elle fait quelquefois des concessions, on le voit ; mais, lors même qu’elle fait ces concessions à la nature humaine et non pas à l’ordre social, elle ne les fait point de bonne grace, et ressemble à un monarque absolu que le malheur des temps oblige à octroyer une charte.

D’après le coup d’œil que nous venons de jeter sur le Mariage au point de vue chrétien, on peut concevoir une idée de ce livre, que Mme de Gasparin n’aurait pas écrit avec cette impitoyable sévérité de doctrines, si elle eût voulu s’inspirer d’illustres exemples que lui fournissait sa patrie. Ah ! que M. Necker et Mme de Staël ont tenu autrement compte de la réalité, et ont parlé du mariage avec une autre sagesse ! Quelle haute raison dans ces conseils de M. Necker : « Que la femme s’efforce de répandre le calme dans l’ame de son ami, de son défenseur, en lui assurant un doux asile au sein de ses foyers, lorsqu’il y revient l’esprit encore inquiet des débats du monde auxquels il est forcé de se livrer. » Ailleurs, M. Necker s’écrie : « Ah ! combien les sentimens d’une ame tendre s’animent et se fortifient par une succession continuelle de besoins et de services ! Les prévenances mutuelles, les attentions réciproques forment seules ces liaisons durables qu’aucune habitude, aucun âge, n’affaiblissent. Et vous ne connaissez pas les plus douces jouissances, vous qui, tout entiers à vous-mêmes, n’appréciez dans l’amour que le despotisme de la jeunesse et les rapides effets de votre impérieux ascendant. » Ces paroles sont bonnes à méditer partout, même à Genève. Ce qui suit, de Mme Staël, est moins tendre, mais n’est pas moins profond, ni moins vrai : « Il est heureux, dit la fille de M. Necker, dans la route de la vie, d’avoir inventé des circonstances qui, sans le secours même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer. Il est heureux d’avoir commencé l’association d’assez bonne heure pour que les souvenirs de la jeunesse aident à supporter l’un avec l’autre, la mort qui commence à la moitié de la vie ;