Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/738

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
732
REVUE DES DEUX MONDES.

d’extension toute sa vie, sans s’en départir un seul jour, et ne fut pas plus ambitieux dans la bonne que dans la mauvaise fortune.

Deux reproches ont été adressés à Richelieu : l’un touche l’homme d’état, l’autre atteindrait le prêtre. On a dit que les grandes guerres dans lesquelles il engagea la France étaient moins nécessaires à la sûreté du pays qu’à celle du ministre ; on a ajouté qu’en donnant pour base à la politique française la défense des princes protestans de l’empire, qu’en associant étroitement les intérêts de la France à ceux de la Suède, le cardinal de Richelieu avait donné à la réforme la chance sérieuse de dominer l’Europe. Un tableau rapide des évènemens permettra d’apprécier la valeur de ce double reproche. Il montrera que la guerre contre l’Espagne et contre l’empire était imposée à la France par une impérieuse nécessité, et qu’en s’appuyant pour la soutenir sur le parti protestant, Richelieu resta toujours assez fort pour faire de ses alliés les instrumens de sa propre pensée, sans craindre de les voir détourner au profit d’une pensée différente la force qu’il consentait à leur prêter dans l’intérêt de ses desseins.

Richelieu n’inventa pas la politique anti-autrichienne ; celle-ci était depuis un siècle un axiome pour la France. Du jour où l’effet de lois de succession eut réuni sur la même tête les immenses domaines des maisons d’Autriche, d’Espagne et de Bourgogne, la France se trouva placée dans l’alternative de briser cette puissance, ou de s’abaisser au second rang des nations. La monarchie universelle ou du moins la prépondérance d’une seule maison souveraine aurait été fondée pour des siècles en Europe, si des résistances inattendues n’avaient frappé au cœur la puissance qui au prestige de la dignité impériale unissait alors la possession de l’Espagne, de l’Italie, de la totalité des Pays-Bas, et pour laquelle la Providence semblait faire surgir du sein des mers des empires nouveaux et de fabuleuses richesses. Des évènemens placés en dehors de toutes les prévisions humaines purent seuls relever la fortune de la France dans la lutte où elle s’engagea contre Charles-Quint avec plus de résolution que de prudence. La réforme arrêta court la puissance impériale au moment où celle-ci était en mesure de préparer cette unité de l’Allemagne que la révolution religieuse du XVIe siècle a pour jamais rendue impossible. En donnant aux ambitions électorales une voie pour se produire et un prétexte pour se légitimer, Luther suspendit le mouvement qui poussait l’Allemagne dans les bras de la maison d’Autriche, mouvement dont l’hérédité de la dignité impériale avait été le plus éclatant symptôme.